La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



lundi 9 juin 2014

Impressions impressionnistes: Le soir de la première de "Comme un parfum..."


Création de Comme un parfum par le théâtre de l'Aparté 
au festival éponyme.



Saint-Raphaël est encore sous le soleil quand nous arrivons. Trois heures et demie de route depuis les Cévennes. L'air est tiède.




Le Centre culturel annonce en grosses lettres le Festival. Il y a déjà la queue pour prendre les places,

On nous donne un badge INVITE et on entre dans le sas.

Des gens qui me reconnaissent me demandent si j'ai le trac. Je ne m'étais pas posé la question. J'ai le trac quand je joue au début mais en tant qu'auteur ? Je dis non, ça va. Ce sont les acteurs qui doivent être dans les transes en coulisses. Depuis le SAS vitré on aperçoit la rue. Deux comédiens sont encore en train de se relancer les répliques devant la porte des coulisses. Niko et sa mère Allison.


La porte de la salle ouvre enfin. les gens s'installent, gardent des places pour les retardataires. C'est plein. Même les marches.

Tous ces gens venus pour voir les comédiens interpréter mon texte. Ce que je ressens n'est pas du trac mais une sorte d'inquiétude mêlée de plaisir. J'ai déjà mis en scène, joué mes propres textes, visionné des vidéos envoyées par des Cies qui ont monté certaines de mes pièces, mais c'est la première fois que je vois une de mes créations en live le soir de la première depuis la salle. 

Les lumières s'éteignent, Danielle Pugnale ouvre le festival, présente tous les auteurs qui sont venus assister il y a Michel Caron et Alex Papias et Jean-Marc Verdu et un auteur local qui jouera sa pièce demain. Manque le parrain du festival Gérard Levoyer qui a envoyé une lettre. Elle est lue par un acteur qui l'imite. La salle rit. 

Et chacun regagne sa place. Le noir se fait et le rideau s'ouvre. Musique, décor de désert projeté sur le cyclo. Lumières orangées, l'actrice entre et la magie opère. La magie du théâtre. Elle est jeune, belle comme le personnage de Sohrab.
Elle dit : "Je ne le finirai pas ce soir".
Dès qu'elle parle le silence devient plus grand, l'attention augmente.


Et son partenaire la rejoint. Le comédien est ému, on sent que le rôle de Naïm lui colle aux tripes. 


NAÏM — Tu voudrais quoi ?
Que je reste sans réagir ?
Que je fantasme sur les filles, dont je vois à peine les yeux, emballées dans des sacs noirs comme des corbeaux.
Tu préfèrerais peut-être que j’aille à Boston étudier l’économie internationale ?
Que je devienne, ô suprême réussite, gérant de Mac Do à Bagdad  

Il y a des rires. Et puis l'image du désert est traversée par des explosions, un arbre se désintègre. Les deux jeunes gens se tiennent par la main, dos au public. Derrière moi quelqu'un demande en chuchotant : Tu crois qu'elle va le suivre ?

Le changement de costumes se fait pour Sohrab en un clin d'oeil sur de la musique. Sohrab est prête à quitter la maison pour suivre Naïm, là-bas...

Et sa mère qui dit:

Aide-moi à préparer le repas.
Conduis-toi avec honneur ma fille.
Pas un homme ne voudra de toi si tu continues à t’habiller aussi mal.Les hommes, ça n’épouse pas des guenons.


SOHRAB — Quelle importance.
Je ne veux pas qu’on m’épouse ! Devenir une esclave traitée moins bien qu’une chèvre ! Merci bien.
C’est fini tout ça, La Mère.
Celui qui partagera mon lit il m’aimera, quels que soient les habits que je porte.
L’habit ne fait pas le moine. 

La mère restée seule conclu:

En récompense de tout ce que j’ai fait pour elle, elle m’offre un macchabée. La douleur m’emporte la honte avec.
Pourquoi le vent abat-il l’arbre ?
Il a rien demandé l’arbre. Juste puiser l’eau dans la terre et pousser ses branches vers le soleil.


Et c'est déjà la fin du premier volet.

Sur le cyclo une vidéo de trapéziste. La musique confirme le cirque.


La mère de Miréla vêtue de son jupon en soie synthétique entre, elle vient pendre son linge à cour.



Et Mirela fait son apparition, gracile, gracieuse, belle élancée, elle danse elle virevolte et ne voit pas l'Homme qui l'observe. Sera-t-il celui qui lui permettra de quitter sa vie minable d'échapper à Chico ?

MIRÉLA — Je ne suis plus une fillette.
J’ai des seins, on les voit pas bien, mais ils y sont.
Je peux t’offrir les pétales de mes lèvres, être tendre, te prendre la main si t’es malade, te raser si t’es estropié, et plus si affinité… et aussi, je sais plumer les poulets et faire l’omelette.
Je sais voler dans les airs, parler aux tigres et aux oiseaux.
Je suis une artiste.
Enlève-moi.
Allons ailleurs, très loin d’ici… de l’autre côté de l’océan.

Le destin se joue à pile ou face. La scène se termine par la réplique de Miréla :
Dollar de merde.

Le troisième volet s'ouvre sur une image mouvante de bayou. Des chants d'oiseaux. Deux rocking chair. Le long monologue d'Allison :

....Un regard de lui, j’ai fondu.
Et deux packs de bière plus tard, on était fiancé, le prince et moi.
Fiancés… profond, profond ! Le hic, ce qu’on n’enseigne pas aux pom-pom girls dans mon genre, même éduquées, c’est qu’un prince charmant fera un cadavre comme un autre et que ça clamsera comme un gardien de vaches !
Fait de chair et de sang, pas de poudre aux yeux....

Niko entre qui jette sa veste avec violence et répond à sa mère :

NIKO ça va, lâche-moi les brunes !



La magie continue d'opérer. Le silence se couperait au couteau. Le public boit les paroles, mange les comédiens des yeux. Je connais le texte par coeur et je le redécouvre. Il était couché sur le papier le voilà debout incarné dans le corps et par la voix de ces acteurs justes et bons. J'ai le souffle coupé, ce n'est pas le texte qui m'émeut, c'est le jeu. C'est la transmutation des paroles en actes. L'oeuvre au noir des alchimistes. Et je trouve cela magnifique, merveilleux. C'est une sorte de parenthèse dans le temps lorsque les flashes back mettent en présence Sohrab, Mirela et Niko. Le triptyque est maintenant ouvert. Et pour le public tout devient clair. Mon imaginaire a pris forme.




SOHRAB — Ah ! Quelle candeur, soldat.
Tu penses que je n’ai pas pu faire ça !
Pourquoi ?
Parce que je suis une femme ?
Je crois entendre mon père, et Naïm, et Bilal, et Ahmed, et Farid, et Hassan et tous les hommes de mon pays soi-disant attardé !
Les clichés n’ont donc pas de frontière ?
Qu’est-ce que tu viens de dire ? Tu n’as pas pu faire ça ?
C’est ce que tu as pensé. Ce que tu dis homme aveugle. Ce que tu voudrais croire.
Tu ignores donc comme on entraîne les femmes chez les Marines ?
Tu n’as pas vu ces soldates en treillis – tes compatriotes, tes collègues, on dit ça dans l’armée ? – sourire de star, œil de velours, arrogantes, le pied posé sur des corps nus, méconnaissables, dans les yeux incrédules de ces débris humains la mort déjà là ou en train d’advenir !
C’était peut-être mon frère qu’elles écrasaient sous leurs semelles !
Le colosse mis à bas.
Ou un inconnu, qu’importe au fond.
La barbarie engendre la barbarie.
Si Naïm n’était pas mort sous vos balles, je n’aurais pas fait sauter la Jeep !  

NIKO — Je sais tout ça et j’en crève.
(Sohrab s’éloigne.)
Ne pars pas ma Brune !
Si on oubliait tout.
Si on repartait à zéro ?
Si les tours éventrées n’étaient qu’un mythe.
Si W. (Prononcer à l’américaine « double U ».) et Saddam n’étaient que les pantins tragiques d’une farce de tréteaux !
Il suffit de croire qu’ils n’existent pas. Qu’ils n’ont pas existé.
Nickel l’ardoise.
Ne me laisse pas seul. Ne m’abandonne pas. J’aurais dû t’abattre t’écraser comme une punaise malfaisante.
(Niko la suit jusqu’au moment où Sohrab disparait de l’aire de jeu. Un long temps de silence.)
Reviens, ma tête éclate.
(Un temps de silence. Il reprend la poupée dans ses bras, ferme les yeux. Il chantonne un vieil air de blues. La lumière change, devient crue quand la mère de Niko entre un verre de Bourbon à la main.)

Et arrive le dénouement.

ALLISON — Niko, je vais te faire enfermer.

NIKO — Enfermer dans une cage dans un putain d’asile parce que je ne suis plus ton chien.
Niko, Niko, viens bouffer ta petite gamelle de pilules !
Parce que je suis fou d’avoir ouvert les yeux.
 (Noir final.)

Et la fin arrive, ces 90 minutes m'ont parue courtes. Les comédiens reviennent prendre place ils  occupent l'espace.
Ils saluent, sont applaudis longuement. Plusieurs rappels. Ils l'ont bien mérité. Michel m'avoue qu'il vient seulement de comprendre ce que j'ai écrit. Cela me fait rire.


Et  je rejoins les comédiens sur la scène, délivrée. Moi qui leur ai offert ce texte, je leur dis toute ma joie, ma gratitude de l'avoir monté et si bien défendu. J'ajoute pour la metteuse en scène, Danielle Pugnale, "J'ai eu l'impression de voir un oiseau prendre son vol". Et c'est exactement ce que j'ai ressenti.

Encore merci, à eux tous, Emma Chapelard, Théo Couasnon, Valérie Azra, Sandrine Legrand, Céline Samson, Raymond Chapelard, Annie Jouasset et Nicolas Desnoues.
Le texte sortira aux Eds La Librairie théâtrale en septembre.
Les photos du spectacles sont dues au talent de Théo Couasnon et de Marceau Chapelard. 


3 commentaires:

  1. un texte magique touchant... et je ne trouve pas des mots assez forts pour exprimer le ressenti que j'ai eu en regardant la pièce...
    vous comptais une nouvelle fan chère Louise

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Clara. Je continue d'écrire il y aura certainement un jour un rôle pour toi.

      Supprimer
  2. j'y travaille... j'y travaille!!! merci encore
    tu es une belle rencontre

    RépondreSupprimer