La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



Un passé pas si simple...



"Il y a toujours dans notre enfance, un moment où la porte s'ouvre et laisse entrer l'avenir."  Graham Greene

A 10 ans, je me grime, je bricole des costumes avec de vieilles fripes, j'invente des histoires que je joue pour mon chat, je me rêve actrice de cinéma, chirurgien aux antipodes, chimiste ou physicienne (je ne fais pas la différence) suite à la lecture du livre d'Eve Curie sur sa mère, médiéviste par engouement pour l'amour courtois et les chevaliers… J'apprends par coeur des milliers d'alexandrins et des vers de Baudelaire...
Passionnée de théâtre, mes jeudis se partagent entre les matinées classiques à Sarah Bernhardt ou à la Comédie Française, supplications d'Andromaque, tristesse de Chimère, soif d'absolu avec Antigone… , à partir de là je veux monter sur les planches. Les années s'égrènent, les folies ambitieuses laissent place aux choix raisonnables, obéissance aux parents qui préfèrent la sécurité d'un métier à l'aléatoire d'une carrière artistique. 
L'itinéraire se complique ou se simplifie c'est selon. Je décide d'allier les passions à la raison. J'obtiens mon doctorat, j'entreprends une formation de comédienne au Théâtre Ecole de Montreuil. Tout le monde est content. Version féminine de Dr Jeckyl and Mr Hyde, je suis biochimiste le jour, comédienne le soir et la vie court… de plus en plus vite au fur et à mesure où je vieillis. 
Le parcours est riche d'expériences, de rencontres, de nouvelles aventures qui allient le jeu à l'écriture… 

L'itinéraire et les chemins de traverse, step by step.


De Coriolan au gymnase Guy Moquet d'Aubervilliers à la Ménagerie de verre dans les villages cévenols.


Gentils enfants d'Aubervilliers
Votre jeunesse vous protège
Et vous êtes les privilégiés
D'un monde hostile et sans pitié
Le triste monde d'Aubervilliers
Où sans cesse vos pères et mères
Ont toujours travaillé
Pour échapper à la misère… Jacques Prévert


Aubervilliers, j'y suis née, je l'écris sans vergogne. J'y ai fait mes études dans l'annexe d'un grand lycée parisien en décentralisation (comme pour le théâtre, la décentralisation était à la mode ces années-là) : Le lycée Condorcet. 


J'ignore tout de l'indigence dont parle le poème misérabiliste de J. Prévert. Banlieue certes, mais rien à voir avec la ville miteuse du XIX° ou du début du XX° siècle, rien à voir non plus avec la banlieue ghetto du XXI°.
En 1960, j'ai 12 ans, Jack Rallite maire adjoint à l'éducation et à la culture décide qu'il faut un théâtre dans la ville "un lieu de plaisir et de culture partagée". Et Gabriel Garran, homme de théâtre, animateur et militant culturel entre en scène, relève le défi et s’installe à Aubervilliers, avec le projet du théâtre de la commune qui deviendra CDN en 1971. Il a été dirigé de 1960-1984 par Gabriel Garran; de 1985à 1990 par Alfredo Arias; de 1991 à 1997 par Brigitte Jaques et depuis par Didier Bezace.



Avant que le théâtre s'implante dans les locaux de la salle des fêtes, et que des travaux soient entrepris, un festival est élaboré par G. Garran avec René Allio et Noël Napo, il se tient dans le gymnase Guy Moquet où avec le lycée je viens faire du sportl. 


Entre '60 et '64 quatre grandes pièces y seront représentées. Ce sont des auteurs difficiles, Vichniewski, O'Cassey, Strinberg. 
Mon souvenir va surtout à Coriolan de Shakespeare. Cette pièce est davantage un essai philosophique q'une tragédie. On s'y interroge sur le pouvoir, les rapports entres les classes sociales, sur ce qu'est la démocratie. Cette représentation fut un choc émotionnel et artistique. La proximité du lycée et d théâtre permit des échanges, des rencontres avec les acteurs, les metteurs en scène. De quoi soutenir mon envie d'être comédienne. Non tragédienne ! Soyons simple…! mais la vie en décida autrement.


De médiéviste à biochimiste, il n'y a que le début qui change.


De mes années d'après bac, je garde le souvenir d'un grand flottement. Il fallait faire des choix, considérer les possibilités, choisir un vrai métier, ce qu'on me répétait plusieurs fois par jour. Le Conservatoire, il n'en était pas question. Comédienne semblait trop hasardeux (sulfureux) pour mes parents. Pas assez bonne latiniste pour réussir le concours de l'Ecole des Chartes. Adieu l'idée de me consacrer au Moyen-âge. Il restait la science. O temps béni où les barrières n'existaient guère, où le bac quelque soit sa spécialité permettait de s'inscrire dans une filière universitaire. Mon père me voulait médecin (son idée fixe de la promotion sociale), je n'aimais pas les malades… 
Le hasard (destin, karma ???) me fit entrer dans une école privée pour gosses de riches, l'ESBC. On nous assurait qu'un BTS de Biologie Biochimie nous ouvrirait les portes de la science et de la Recherche avec des majuscules. Et moi crédule j'y ai cru. Les cours étaient intéressants, les relations amicales très présentes, sorties, soirées, examens… j'oubliais un temps mes désirs de théâtre.

Premier job en banlieue à l'hôpital Avicenne (ex-franc-musulman) un remplacement d'été dans le laboratoire d'hématologie. Je ne pense pas y rester au delà de fin Août. Mais une fois de plus, la vie en décida autrement. Je suis restée 1an en hématologie et 5 ans dans le service d'Anatomopathologie à m'occuper d'autopsies, de biopsies, d'ulcères, de cancers et autres plaisirs de l'existence, dans la folle ambiance d'un hôpital public. Rien à voir avec la Recherche. Je décide donc de quitter l'hôpital pour la faculté de médecine de Bobigny.  Bobigny c'est aussi le théâtre avec la MJC '93. 

Les détails n'ont pas d'intérêt. Je travaille, je fais de la recherche et je soutiens ma thèse d'Université en '81. Ensuite, je reprends le théâtre. 

Les années TEM 

Le TEM de Jean Guerrin, un théâtre école de qualité pour des salariés. Un long apprentissage ...



 Cette école mise en place en 1965 dans les locaux d’un ancien centre de formation professionnelle, par Jean-Marie Binoche – qui a fait partie de la troupe du mime Marceau et qui a travaillé avec la chorégraphe Caroline Carlson –, Jean-Claude Ruas – poète et éditeur– et Jean Guérin (cf doc)– comédien issu de TNP, élève de Jean Vilar – fonctionnait sur le modèle des cours du soir des Arts et Métiers.



Le TEM permettait à des salariés, en fonction de leurs disponibilités, d’acquérir en plusieurs années une solide formation à l’art dramatique et fut habilité à la préparation aux concours d’entrée au CNAD.  Au TEM, les élèves étaient confrontés à l’interprétation, à la technique, à la mise en place des décors, la création des costumes, à la mise en scène. Jouer n'était pas un droit. il fallait le mériter par du travail et des résultats. 
Le directeur Jean Guerrin n'était pas un tendre. Quand il recevait les candidats à la réunion de rentrée ou qu'il assistait à une répétition, il y avait de quoi être dans ses petits souliers. 
J'ai le souvenir de cette rentrée '83 où je me suis pointée pour m'inscrire. Une salle pleine à craquer, des panneaux d'affichage, du bruit, des encadrants que je ne connais pas, des anciens  que je ne connais pas non plus et beaucoup de petits nouveaux tout aussi inconnus sauf un (sans étaler ma vie c'est mon amoureux, celui qui deviendra mon compagnon et qui l'est encore à c't heure alias Michel). Tout à coup le bruit cesse, un homme pas très grand, les cheveux en bataille à la Einstein, entre, pâle, fluet, pas souriant, dur… Un tantinet Robespierre. C'est Jean Guerrin le maître absolu des lieux, des choses et des gens. Il commence à parler, il explique comment ça marche et on comprend que ce sera difficile, qu'on va en chier si on est pris (ce qui n'a rien de sûr car la sélection est drastique). Les règles de recrutement sont claires pour les Ateliers (travail, assiduité, engagement ; et obscures pour la Troupe. Il se murmure que c'est à l'entière discrétion de Jean, qu'il coopte les anciens… rumeurs rumeurs. Ceci dit en 6 ans j'ai eu l'occasion de me rendre compte que Jean régnait en maître voire en despote. Un despote éclairé, compétent menant à bien une expérience d'enseignement du théâtre unique en France. Un despote pour qui j'ai une tendresse particulière.

Première année, première présentation au TEM.

Petite nouvelle, je me retrouve dans l'atelier de Michèle Bisson. L'enseignement est bien fait, bien préparé, progressif, basé sur la méthode de Stanislavski (voir ci-dessous). On travaille textes et techniques. Pas question de rater un soir même si t'as un rhume! Je ne parle même pas des stages de week-end (vendredi soir jusqu'à 22h, samedi de 14 h à 22h et dimanche de 9h à 18h) qu'on ne peut manquer sous aucun prétexte. Les textes sont éclectiques, ça va de Corneille à Foissy en passant par Molière, Rainais… Et puis en cours d'année on se lance dans l'aventure du "Bastringue". Karl Valentin un munichois pur jus, le père du"café-théâtre"qui fit travailler le jeune B. Brecht. Jean Guerrin ne soutient le projet que du bout  des lèvres. Faire jouer douze débutants inexpérimentés… ce n'est pas son truc. On le fait quand même, ça marche, c'est un beau succès que notre groupe remporte et M. B. s'en tire avec les honneurs. Pour d'autres détails 

LE BASTRINGUE de Karl Valentin 


Mise en scène : Michèle Bisson, Jean Guérin
Création Juillet 1984. Théâtre des Roches (93100-Montreuil)
Interprétation : Louise R. Caron, le violoniste ; Michel Caron, le chef d’orchestre ; Philippe Desperier, le cycliste acrobate ; Brigitte le Gargasson : la chanteuse et d'autres dont j'ai oublié les noms. 

Pour en savoir plus consulter le blog de Michel Caron.



Le chef d'orchestre                                                 Le premier violon





Et l'apprentissage continue Stanislavski et sa méthode, imaginer, se remémorer, ressentir... 


L'année d'après et encore après… je rempile, engagez-vous rengagez-vous… C'est difficile de tout concilier (recherche, boulot, et ça…) mais le jeu en vaut la chandelle. 



La formation de comédien exige une endurance de spartiate. Faut laisser tomber tous les clichés, sur l'émotion, le dramatico-merdeux. J'apprends que le théâtre c'est l'action.  L'imagination et le corps sont aux commandes, il faut laisser la psychologie en coulisse, (encore que parfois à ce sujet M. B. se laisse entraîner par ses propres démons).


Les novateurs du théâtre russe sont nos "maîtres". Stanislavski Meyerhold, des pratiques différentes au service d'un même but : jouer juste être vrai. Grand débat jouer juste ou jouer vrai, réalisme ou naturalisme ? 
Contruire un personnage, se laisser envahir par lui, lui préter le corps, la voix, agir en son nom, faire émerger ses sentiments en utilisant nos propres expériences.
Je cite encore aujourd'hui une anecdocte que Michèle Bisson nous donnait en exemple.


" On demandait à une célèbre actrice de Brodaway quel était son secret pour dire je t'aime avec autant de sincérité. Elle répondait, il suffit que j'imagine que mon partenaire est une glace à la vanille."
On travaille sur Chantecler de Rostand. On expérimente. Le corps s'adapte à l'animalité, nous devenons des animaux de basse-cour le temps d'un long (très long week-end). Le coq détient un terrible secret : en chantant, il peut faire se lever le soleil. 









L'année des 20 ans du TEM délire et spectacles

Pour fêter ses vingt ans le TEM imagine une année de festivités et de spectacles.
Des animations de rues auxquelles nous les élèves devions participer, par exemple un sondage théâtralisé sur la place de la Mairie de Montreuil un Samedi après-midi, en plein mois de décembre, attifés comme des … comédiens! La question à poser aux gens pressés, sortant du supermarché les bras chargés se paquets était " Etes vous favorable la démolition de la mairie ?" L'accueil état mitigé vous pouvez me croire. Voilà un truc qui forge le caractère d'une apprentie comédienne!


Notre groupe, (les anciens du Bastringue en deuxième année) nous allons travailler au dernier trimestre pour une présentation publique et jouer quelqu'uns des merveilleux Diablogues de Roland Dubillard, en utilisant tous les espaces disponibles du TEM, quand j'écris tous c'est tous, y compris, les toilettes (Musique de placard), le magasin de costumes, la cuisine (Monstres sacrés) , le vestibule (BB ou la musicologie…) 
Cette fois-ci nous avons la bénédiction du Maître. On a gagné des galons et de l'assurance. On commence à savoir interpréter (à force de ressentir selon Stanislavski, on a fait des progrès. Délire assuré. C'est formateur et décapant. Le public est conquis. Nous aussi.








Michel et Louise Caron  dans Tragédie classique

On décide d'arrêter le TEM début '87 quand il est question de monter un texte d'Henri Gougaud. Je suis en pleine rédaction de thèse que je dois soutenir en mars…  J'ai des articles scientifiques à rédiger. Je n'ai pas la quantité de neurones suffisante pour tout assumer. On fait un break.

De nouveau au TEM, on en repasse une couche.

Pas à pas, mois à mois, découverte de l'écriture contemporaine



On complète notre formation en '89, toujours dans le cours de Michèle Bisson. On rencontre Foissy et Philippe Adrien qui sont invités au théâtre Berthelot pour des lectures de la Crique et La Baye. 

"Le code du théâtre est toujours moins riche que les  simulacres de la vie."
Philippe Minyana

Minyana c'est d'abord (à l'époque) une écriture sans ponctuation qui autorise les coupures en fonction de la respiration et un sens nouveau apparait. Nous travaillons sur deux textes de lui, Les Guerriers et Inventaire. Belle réussite, je n'ai pas honte de le dire. 




Après ça se complique, les propositions ne nous emballent pas. On a appris beaucoup, travaillé Brecht, Ribes, Ionesco, Cocteau, Molière… et bien d'autres.
Jean Guerrin propose à Michel le rôle du presseur dans l'Atelier de J.C. Grumberg. Après quelques hésitations Michel refuse faute de disponibilité. 

Nous refaisons une année de travail supplémentaire au TEM en '92-93. On aborde des monologues. Je travaille sur Ribes, Venise zigouillée, Michel sur le Menteur de Cocteau. Ce sera notre dernier passage au TEM. 
Il est temps de passer à autre chose. S'enrichir en rencontrant d'autres gens avec qui jouer, d'autres méthodes. Cela va nous conduire chez Pierre Vincent et Pascale Poirel toujours à Montreuil et au TEP de Guy Rétoré qui a déménagé de la rue Malte Brun à l'avenue Gambetta.  

Les années TEP

Ce sont des années qui ont compté dans ma formation de comédienne. Je n'ai pas le courage d'écrire là-dessus, un volume n'y suffirait pas...
Pour en savoir davantage sur nos années TEP consulter le lien sur Le blog de Michel.
Il  y décrit ce que fut l'aventure de l'enterrement de la terre, de l'écriture de "Mal de terre sur terre ferme" sous la houlette de grands noms du théâtre, Guy Rétoré, Georges Werler, Jacques, Hadjage, Philippe Ivernel, Michel Azama… Nous avons eu comme témoins-spectateurs de nos mises en chantier expérimentales, Philippe Avron, Eric Prat, Chantal Deruaz, Bernard Dort, et d'autres dont le nom ne me revient pas… Et comme camarade Laurent Contamin aujourd'hui dramaturge reconnu.


Avec Michel Azama au cours d'un atelier d'écriture en 1994.

Pour s'y retrouver dans cette chronique consulter le blog de Michel :

1 - 1983-1986 : Dans la jungle de la ville
En savoir plus sur les Caron:
écoutez l'interview sur radio Grille Ouverte  SILHOUETTE en MP3 

L'écriture


Pour en savoir plus sur l'auteure de se Départir, consulter les interviews:

l'entretien avec Gwen 
- l'entretien avec Christophe Gelé
- l'entretien avec Stéphanie Cordonnier Le P'tit Ecrivain
- l'émission de Février 2013 sur Radio Grille Ouverte en MP3

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire