Ce que cache un immeuble si discret.
Résumé : Voir épisode N°6.
Allons, amis, reprenons là où
nous en étions restés,
au 3 ème étage du 26 de la rue sans nom, de la ville
sans nom de la banlieue rouge, là "où ce que" j’ai grandi. Et
finissons-en. L'été approche, je ne vais pas rester à
écrire alors que le
jardin a besoin de moi.
Je sais, vous allez me dire
:" Fallait pas commencer".
J'assume toute la responsabilité. Quand ce
client (pigeon) potentiel m'a parlé de cave en visitant ce vieux mas cévenol, j'aurais dû faire barrage à mes
souvenirs. Ne rien dire. Tout garder à l'intérieur. Vidons donc jusqu'à la lie
ce calice mêlé de nectar et de fiel. Je vous laisse deviner l'auteur. Un indice c'est un romantique. Avançons, presto,
presto comme disait Luigi en me servant du parmesan.
Nous étions en arrêt sur le
paillasson du Sourd et de la Muette. C'était leurs sobriquets. Bon, quant à savoir pourquoi on les
appellait différemment puisqu’ils étaient affectés tous les deux par la
surdité et le mutisme, c'est inutile de chercher. On va dire par habitude, pour faire court. En revanche leurs
deux fils qui avaient déjà quitté le nid étaient parfaitement parlants et
entendants. Les mystères de la génétique. D'ailleurs à bien y regarder, je n'ai pas grand-chose à voir avec ma chipie de mère… Bon, si tout de même, vous trouvez ? Attention à ce que vous allez mettre comme commentaire, cela deviendrait vite offensant. Avançons, avançons.
Je me souviens surtout de la
Muette qui faisait des bruits mal articulés pour tout et rien. Une peur
bleue quand par hasard, je la croisais dans l’escalier. On est bête quand on
est gosse, on se fait du cinoche à partir de n’importe quoi. Je la croyais cannibale alors qu'elle n'était que que mal parlante et mal entendante. Impossible de dire cette frayeur chez moi, ma mère qui
était politiquement correcte avant l’heure (ce qui ne l’empêchait pas de dire
la Muette comme les autres) m’aurait punie pour manque de charité.
La Muette
devait avoir à l’époque que j’évoque, une cinquantaine d’années. Le Sourd était
plus vieux, il a pris sa retraite l’année suivant l’incident qui fait l’objet
de ce récit. La Muette était femme au foyer. On disait ça des femmes qui ne
travaillaient pas à l’extérieur. Des cheveux gris, bouclés d’une indéfrisable,
des joues rebondies, un rien couperosées, un ventre et un derrière proéminents.
Le type dame jeanne, si vous voyez ce que je vous dire. Son bonhomme était
plutôt du type bouteille de Saint-Galmier[1],
forme accentuée par une popeline ceinturée gris anthracite acheté aux CCC
ou à la Belle Jardinière en face de la Samaritaine. Les parisiens âgés suivent,
je sens que les autres flottent. Imaginez le genre de grands magasins qui
fleurissaient près du Pont neuf dans les années ’50, rien de bien compliqué. Je
ne peux tout de même pas faire tout le boulot !
Le Sourd travaillait chez
Christople, dans l’argenterie. Au moment des soldes il faisait bénéficier ses
voisins d’opportunités en déposant un prospectus dans leur boites à lettres. C’est ainsi que nous avions chez nous des séries
dépareillées de petites cuillers, une soupière à tête de lion et des plats tout ce qu’il y a de chic et de
tarabiscoté, que nous utilisions aux grandes occasions, c’est-à-dire
partiquement jamais car chez nous, c’était pas très famille-famille.
Ma mère
qui avait un caractère impossible s’était fâchée avec toute sa fratrie pour des broutilles (je passe les détails sinon mon feuilleton va ressembler aux Rougon-Macquert) et mon
père était quasi orphelin, à part son frère, les repas qualifiés de familiaux se limitaient donc à presque rien. Bref, les Sourds et Muets n’avaient pas grand-chose à dire aux
réunions de copropriété. Mais dans la suite de ce récit, ils vont tenir une
place prépondérante. Leur double handicap devenant un atout majeur. Certes, ils
auraient pu écrire mais personne sur le coup n’y a pensé.
Nous sommes en hiver. Ce
détail a son importance. Pour se chauffer, il faut du charbon. Et où s’entrepose le charbon ? A la cave ! Le décor est planté.
C’est la fin de l’après-midi. Je viens de terminer mes devoirs. La nuit
est déjà tombée. Je suis seule à la maison. Brigitte a un rhume et n’est pas
sortie de son lit. Ma mère fait l’étude. Où est mon père ? Ce n'est plus
l’heure de graver des épitaphes ou de tailler le marbre dans son échoppe près du
cimétière. Il est sûrement chez Gros-Louis devant un blanc-cassis avec son
frère et ses potes à taper le carton. Belote-rebelote et dix de der !
Parfois, je lui fais la surprise d’aller le rejoindre. Il m'accorde une petite
place sur ses genoux, je commande comme une dame, un diabolo-menthe ou un
Viandox que la patronne m’apporte avec tous les égards dûs à ma filiation. Je
ne bouge pas d’un pouce, je surveille les cartes et parfois je m’endors contre
son épaule dans la douce chaleur de son gilet marron. Mais ce soir, il neige.
Même devant la devanture d'Olga les petits vieux en quête de sensation ne doivent pas
s’attarder. Il n'y a pas plus culs gelés que les vieux ! Et chez les hommes la biroute rétrécit au froid. Toutes les femmes savent ça.
Revenons à cette fin d'après-midi neigeuse. Je n'ai plus rien à lire. J’ai fini la veille La Chute d’Albert Camus. La confession de ce juge,
ce Jean-Baptiste Clamence, m’a parue plutôt rasoir et je n’ai pas envie de la
relire. Je cherche Bonjour tristesse de Sagan, mais le livre a disparu
des étagères. Ma tortionnaire de mère a dû le cacher. Elle prétend que je suis
trop jeune pour lire ça. Du coup l'envie redouble.
Je regarde la pendule, il est trop tard pour aller à
la bibliothèque alors, je colle le nez aux carreaux et je m’emmerde ferme à zieuter la rue enneigée, blanche
comme une jeune mariée, en bouffant du chocolat au lait. Le poële Godin ne
rougeoit plus. J’ai beau tisonner, le foyer reste noir. Le seau à charbon est
vide.
Il faut descendre à la cave. Je décroche la grosse clé, je prend la
torche d’une main, le seau de l’autre et dégringole les quatre étages. J’en
profite pour écouter aux portes. Mais ce soir l’immeuble est étrangement
silencieux. Même les cannes de madame Henri sont réduites au silence. Idem pour
les déclamations de la Folle du premier. La minuterie s’éteint pile au moment
où je mets la clé dans la serrure rouillée de la porte de cave. Je referme
derrière moi à cause du courant d’air. La torche en avant je descends l’escalier
de pierres glissantes et moisies. Comment décrire l’odeur de ces caves ?
Relents d’humidité, de poussière charbonneuse, odeur de plâtre et de salpêtre,
bois en décomposition, odeur de vinasse aussi. Certains mettent ici à l’automne
leur picrate en bouteille. L’escalier qui a quatorze marches, débouche dans les
entrailles de la terre sur un couloir étroit et bas de plafond qui tourne
d’abord à droite puis à gauche. Le sol est en terre battue. De chaque côté
quatre portes en bois à claire-voie, et à l’endroit du coude un recoin avec
l’arrivée d’eau. Au fond un local commun servant de débarras, qu’on on appelle
« les puces », c’est l’anti-chambre de la décharge ! S’y
entassent des matelas pourris, des poussettes rouillées, des casiers à bouteilles
cassés… Une montagne d’objets que les habitants ne peuvent se résoudre à jeter.
C’est sentimental autant qu’utilitaire. Parfois Monsieur F. exhume un machin
pour le vendre dans une brocante ou à un ferrailleur de passage. Notre cave
jouxte « Les puces ». J’éclaire avec la torche. Généralement les
Puces sont fermées par une chaîne et cadenas.
Ce soir, le cadenas n’est pas à sa place, la chaîne pendouille. Ça m’intrigue, la chaîne tombe avec un bruit de fantômes en déroute. J’ai beau ne pas être trouillarde et connaître parfaitement l’endroit, je sursaute. J’ai peur des rats. Malgré les granulés roses, il doit bien en rester un ou deux. Ou un chat qui se serait faufilé. Mais en bonne logique ni rat ni chat n’ouvrent les cadenas. Et l’idée qui me vient à l’esprit à ce moment-là n’est pas rassurante. Avec le pied, je pousse la porte, elle résiste. Il y a un truc qui la bloque. J’essaie de voir ce qui coince. Je me penche. Le faisceau de la torche met en lumière deux chaussures noires. Dans les chaussures des pieds sciés au niveau des chevilles, encore en chaussettes ! Je n’ai même pas la force de crier. Je recule précipitamment pour remonter, je bute dans le seau de charbon qui va dinguer contre la paroi. Je laisse tomber la clé et ma torche qui s’éteint. Me voilà dans le noir. A tâtons, je cherche la sortie. Du recoin, une main ferme surgit et m’attrape le bras. J'ai beau être téméraire, la peur est là et le hurlement fuse. Une autre main s’abat sur ma bouche et une voix dit :
Ce soir, le cadenas n’est pas à sa place, la chaîne pendouille. Ça m’intrigue, la chaîne tombe avec un bruit de fantômes en déroute. J’ai beau ne pas être trouillarde et connaître parfaitement l’endroit, je sursaute. J’ai peur des rats. Malgré les granulés roses, il doit bien en rester un ou deux. Ou un chat qui se serait faufilé. Mais en bonne logique ni rat ni chat n’ouvrent les cadenas. Et l’idée qui me vient à l’esprit à ce moment-là n’est pas rassurante. Avec le pied, je pousse la porte, elle résiste. Il y a un truc qui la bloque. J’essaie de voir ce qui coince. Je me penche. Le faisceau de la torche met en lumière deux chaussures noires. Dans les chaussures des pieds sciés au niveau des chevilles, encore en chaussettes ! Je n’ai même pas la force de crier. Je recule précipitamment pour remonter, je bute dans le seau de charbon qui va dinguer contre la paroi. Je laisse tomber la clé et ma torche qui s’éteint. Me voilà dans le noir. A tâtons, je cherche la sortie. Du recoin, une main ferme surgit et m’attrape le bras. J'ai beau être téméraire, la peur est là et le hurlement fuse. Une autre main s’abat sur ma bouche et une voix dit :
— N’ai pas peur Irène, c’est
moi.
Je reconnais la voix de fils
Pallu ! Loin d’être rassurée par sa présence ici je me débats, il serre le
bras. Je crie de nouveau.
— Tais-toi idiote. Faut que
tu m’aides.
— A quoi ?
— Pour le type
— Quel type.
— Celui qui est dans Les Puces. J’en viens pas à bout…
— C’est qui ce type ?
— ça ne te regarde pas.
—C’est un flic ?
— En quelque sorte.
— Qu’est-ce qu’il t’a
fait ? Pourquoi il a les pieds sciés ?
— Tu poses trop de questions.
— ça a quelque chose à voir
avec les types qui sont passés chez moi un jeudi.
— Oui. Ces types étaient du
KGB !
— Merde. Des
communistes !
— Pourquoi merde ? T’es
communiste ?
— Ben non, je crois pas, ma mère, elle les aime pas.
— Ces types sont repassés
hier... y avait leur bagnole au coin de la rue…
— Il voulait m’enlever,
m’envoyer en URSS dans un kolkose ?
— Mais non. C’est
après moi qu’ils en ont. Tu sais qu’on est polonais...
— Mais vous êtes pas
communistes, ta famille est toujours fourrée à l’Eglise. Même que ma mère
trouve ça louche…
— Je peux pas t’expliquer en
détail. Une sale affaire. Son acolyte court toujours.
— Ah bon, t’en as bousillé
qu’un, c’est con !
— C’est bien assez. Faut que
je m’en débarasse.
— Sûr, tu vas pas le laisser Aux Puces. Comment tu vas faire ? Le découper en morceaux ?
— Non, c’est trop long. Pour
les pieds j’ai passé l’après-midi avec la scie égoïne… j’aurai pas le temps avant qu’il pourrisse.
— T’as du bol, c’est l’hiver.
— Quand même… il commence
déjà à chlinguer.
— J’ai rien senti.
— Ecoute Irène, j’ai besoin
d’aide…
A ce moment-là on a entendu
la porte du haut s’ouvrir et quelqu’un descendre. Manquait plus qu’on me trouve
à la cave dans les bras de l'assassin d’un espion soviétique. Nous nous sommes
collés au mur, presque aussi plats que des soles. J’espérais qu’il en
profiterait pour m’embrasser. J'ai donc fermé les yeux et tendu les lèvres. Une expérience à ne pas manquer. Vous pensez un mauvais garçon !
Mais non. Rien. Les effluves de parfum s’avançant vers nous ont dénoncé la
belle madame D. avant même qu’on puisse la voir.
Elle s’est arrêtée juste avant le recoin et a ouvert sa cave. Le fils Pallu m’a lâchée pour la rejoindre. Le muffle. Elle a poussé un petit cri.
Elle s’est arrêtée juste avant le recoin et a ouvert sa cave. Le fils Pallu m’a lâchée pour la rejoindre. Le muffle. Elle a poussé un petit cri.
— Ah ! jeune fou, c’est
vous ? Vous m’avez fait une peu bleue. L’endroit est mal choisi pour des
ébats, il fait froid et mon mari doit venir prendre le seau de charbon pour le
remonter.
Alors, n’y tenant plus, je
suis sortie de l’ombre
— Madame, il a besoin d’aide
parce qu’il a tué un type à Kroutchev.
Mon apparition a produit son
petit effet. Madame D. est tombée dans les pommes sur son tas de boulets.
Quel dommage pour son bel ensemble beige. Mais l’heure n’était ni à la coquetterie ni aux regrets. On lui a filé des baffes, elle est revenue à elle illico presto. Je me suis dit que la meilleure manière d’en faire une alliée, c’était de la mouiller dans la combine d’évacuation du cadavre. Le fils Pallu à dû penser comme moi. Nous lui avons donc montré les godasses et les pieds au bout, elle a même aperçu un pan de l’imperméable mastic. Faisant montre d’un sang-froid inhabituel chez les femmes de cette époque pas encore complètement libérée , elle a déclaré:
— Un mari jaloux ? Il
faudrait s’en débarrasser jeune fou !
— Oui, mais comment ?
— Parlons-en à mon mari. Bien
que très imparfait, il est souvent de bon conseil.
Le fils Pallu ne parut pas
emballé par l’idée, à ce rythme là bientôt tout l’immeuble serait au
courant de son forfait.
Madame D. est remontée chercher son époux
qui est par conséquent descendu à son tour dans cette cave maudite. Vous connaissez l’expression en
descendant montez donc, vous verrez le petit comme il est grand !
Entendant du bruit dans la cave, les Collabos rentrant tout neigneux se leurs
occupations de bureaucrates nous ont rejoints. Bientôt le couloir étroit et bas
de plafond fut encombré de bras et de jambes, de corps poussant des cris,
donnant des conseils. Le métro aux heures de pointe! Il ne manquait plus que
les B. Mais voilà, quand on parle du loup… Monsieur B. à court de charbon, a
débarqué en plein colloque. Tout le monde voulait voir le mort et comprendre le
pourquoi du comment, certains prônant d’appeler la police, d’autre comme
monsieur Henri qui était descendu nous rejoindre, prévenu par je ne sais quelle
prescience, préférait s’en tenir à l’idée de se débrouiller tous ensemble sans
avoir recours à la maréchausssée qui forcément poserait des questions,
fourrerait son nez partout et finalement finirait par arrêter certains et
peut-être même, tout le monde. Or, dans cet immeuble bien sous tous rapports,
chacun avait ses secrets et en était jaloux. J’étais en train de penser à mère
quand elle se matérialisa dans la cave comme la vierge de Lourdes dans la
grotte. D’abord émue par la mort d’un homme (signe de croix sans génuflexion because le sol crado en terre battue ) elle se rasséréna
en apprenant qu’il s’agissait d’un des dangereux communistes un couteau entre les dents, qui avait tenté de forcer notre porte et de me
violer avec Brigitte et Agnès un certain jeudi d’automne, relisez les épisodes
précédents. Prenant comme à son habitude les choses en main, elle suggéra de
boucler la scène de crime et de se retrouver chez nous après le dîner pour une
réunion extraordinaire de la copropriété. Chacun remonta à son étage, seau de
charbon rempli. Et le silence reprit possession de cet immeuble discret.
Le cerveau de ma mère
carburait à cent à l’heure quand mon père rentra, légèrement éméché, en
sifflotant Viens poupoule, viens poupoule, viens… Elle commença par l’engueuler
avant qu’il ait eu le temps de délasser ses godillots. Puis par un jeu de coq à
l’âne qui lui était propre, elle lui a fait le récit de l’affaire. Le crime du
fils Pallu, le cadavre pourissant sur les matelas dans Les Puces et la réunion
de crise qui allait se tenir chez nous après le 20 heures. Ça promettait d’être
du cirque. Je me fit toute petite pour ne pas qu’on m’envoit au lit trop vite.
Soyez patients lecteurs, mes
amis… la suite au prochain épisode.
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