La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



jeudi 4 avril 2013

Coup de chapeau à...

Music-Hall de Jean-Luc Lagarce mise en scène de Johanny Bert CDN de Montluçon
Spectacle présenté en décentralisation par le Cratère d'Alès
hier soir à Rousson.

Les mots, les phrases, l'humour de Jean-Luc Lagarce portés par un trio d'acteurs qui nous embarque dans leur histoire. Le texte prend beaucoup de relief dans cette mise en espace hors scène, changement de costumes à vue, moyens techniques réduits au minimum. 
Johanny Bert a choisi de placer ses acteurs dans la même situation que les personnages, dans des lieux non théâtraux, des salles de "banlieue grise", (même si Rousson est un contre exemple, en soit remerciés les élus, en particulier l'adjointe à la culture, Mme Andrée Aujoulat),  dans des salles polynavrantes, où il faut s'accrocher pour être artiste, affronter les goguenards , attendre que le public arrive, s'il se décide à arriver… (on est toujours le goguenard de quelqu'un disait  Laêtitia Le Mesle après le spectacle).
Ce que avons vu hier soir dans le foyer de Rousson, c'est de l'art et des artistes. Il ne faut pas croire que c'est facile de représenter des loosers désabusés, de trouver la justesse dans des ratages voulus. 
Le jeu des trois acteurs est tout en légèreté, celle du désespoir, pas d'effets dramatiques qui ne feraient qu'ajouter du rouge sur du rouge. Juste ce qu'il faut de dérision pour que l'on perçoive les blessures sous les paillettes. Une mention spéciale à  Laëtitia Le Mesle pour son sourire et son jeu proximité avec le public.
Un petit regret par rapport aux marionnettes dont on nous annonçait la présence. On pouvait imaginer que ce serait comme dans l'Opéra du dragon. Une erreur de communication ?
Cependant, les têtes modelées - les rouges sang - apportent un aspect à la fois ludique et tragique à la perte des amants, des partenaires, à la perte tout simplement. Très belles images des mains de l'actrice les manipulant dans un envol poétique et cruel.
C'est un spectacle drôle et émouvant qu'il faut voir absolument.

Découvrir l'écriture de Jean-Luc Lagarce est une expérience, que l'on soit acteur ou spectateur. Cette façon de dire éminemment écrite est la marque de fabrique de J-L. Lagarce. Il a l'art de la répétition, ses personnages ont l'obsession de la précision, jusqu'à la monomanie. On assiste (dans toutes ses pièces) au cheminement des idées dans les circonvolutions cérébrales des personnages et ils sautent d'un souvenir à un autre, du passé au présent, parce que c'est ainsi que ça fonctionne. Et chaque nouvelle idée précise l'ancienne, celle qui a été énoncée dans la réplique précédente ou un peu plus haut. 
C'est drôle et déroutant. J-L Lagarce disait en 1995 dans une émission de Lucien Attoun :

"Je ne peux pas m'empêcher de considérer ce qui a lieu sur la scène comme ayant déjà eu lieu, comme étant répété, comme ayant été déjà entendu."

Souvent dans le théâtre de Lagarce, le conflit a déjà eu lieu avant que la fiction commence devant nous. Il s'agit alors pour les personnages d'énoncer (ou non) ce conflit ancien, de le faire apparaitre ici et maintenant, brouillant la temporalité et les espaces. 
Dans Music-Hall, on assiste à une remémoration plurielle, une approche de l'évènement (en l'occurrence, le spectacle à jouer) au travers de souvenirs d'autres évènements qui ont gravité autour. C'est une prise en charge par les trois personnages d'une même histoire dont le récit est parfois contradictoire, chacun ne détenant que sa parcelle de vérité. Dans Music-Hall, la frontière entre dialogues et monologues est déplacée comme c'est aussi le cas dans  " Le pays lointain", "Vagues souvenirs de l'année de la peste", "Hollywood", J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne"… Ce sont celles qui me viennent à l'esprit. 
La mise en scène des textes de J-L Lagarce est très ouverte, car il ne propose pratiquement jamais de pistes, peu ou pas de didascalies.

Music-Hall a été crée en 1989 à Besançon et reprise à Paris par Théâtre Ouvert- Jardin d'hiver en janvier '90 dans une mise en scène de l'auteur.
Méconnu de son vivant, Jean-Luc Lagarce est l'un des auteurs les plus joué actuellement. Son oeuvre complète est éditée aux Solitaires Intempestifs. 

Un grand bravo à toute l'équipe de Music-Hall et au Cratère pour le choix de ce spectacle.




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