La mémoire de Léa
En construisant le personnage complexe de Léa, je me suis interrogée sur les processus de mémorisation, du point de vue non pas du stockage et du rappel, mais du point de vue de la vérité.
Quelle est la part de vérité et de mensonge conscient ou le plus souvent inconscient, dans ce qu'on emmagasine sous forme de souvenirs.
La phrase qui est en marge du roman est tiré de "Chacun sa vérité" de Pirandello.
"La vérité, je suis celle que vous croyez"
Cela peut paraître paradoxal. Un cartésien dira : "un évènement a existé ou pas, un mot a été dit ou pas. Comment pourrait-il y avoir plusieurs vérités ? La vérité est univoque comme un axiome".
Certes, mais faites l'expérience : demandez à plusieurs personnes témoins d'un incident de le retranscrire oralement, immédiatement puis plusieurs jours après. Il y aura autant de versions que de témoins. Avec des constantes bien entendu, plus on est proche dans le temps plus les versions seront concordantes. Mais, malgré tout, certains auront vu une voiture noire, d'autres grise, la femme avait un cabas, d'autres diront un sac à main, d'autres n'auront pas noté ce détail… et ça immédiatement. Si on reprend le même incident et que l'on demande à chacun de refaire le récit, disons une semaine après, on tombe dans le mythe, les choses sont enjolivées ou dramatisées, on aura moins de détails sur le concret et davantage sur les sensations.
La mémoire compose avec la fragilité des sentiments, avec l'indicible. Je cite Boris Cyrulnik.
"Toutes les images mise en mémoire sont vraies, c'est la recomposition qui arrange les souvenirs pour en faire une histoire. Chaque élément inscrit dans la mémoire constitue un élément de la chimère de soi"
Voilà le point de départ de la construction du personnage de Léa. Je ne peux pas en dire davantage. Il ne faut pas déflorer l'histoire. Je laisse au lecteur le soin de découvrir comment Léa a forgé sa vérité. Celle qui lui a permis d'exister dans la tourmente.
Le concept de la résilience.
Léa demande à un moment à un ami médecin :
« C’est quoi le mot pour
les gens qui inventent des histoires pour vivre ? »
Il avait
répondu : « ça dépend.
S’ils ont un éditeur, on dit romancier, sinon on dit mythomane. » Bon. Logique !
Admettons que je sois mythomane. Mais qu’importe ce que je suis.
Je vous invite à lire la pièce de Pirandello "Chacun sa vérité" et le livre poignant de Boris Cyrulnil "Sauve-toi, la vie t'appelle".
Merci pour cet article. Finalement, le personnage n'est-il pas le résultat de nos propres vérités que nous transformons au gré de notre imaginaire ?
RépondreSupprimerIl y a de ça. Un personnage de roman (ou un personnage qu'on interprète sur scène) ne s'invente pas de novo. Il est le résultat d'une alchimie particulière entre le vécu, l'imaginaire de l'auteur, sa vision du monde et de ses contemporains. Le personnage (sauf en auto fiction) n'est pas l'auteur, il est sa créature (création). Souvent il lui échappe pour aller vers un ailleurs que l'auteur lui-même n'avait pas prévu. Au théâtre c'est un peu différent car l'acteur prête sa voix, son corps au personnage, et il trouve la justesse des sentiments de ce personnage en allant puiser dans son vécu, le mentir vrai de Stanislavski. Ceci est une des bases du travail du comédien : la recherche de sa mémoire sensorielle;
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