La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



mercredi 21 août 2013

Mes lectures du moment:

Sauve-toi, vie t'appelle de Boris Cyrulnik (2012)
Editions Odile Jacob

Résumé : A partir des souvenirs douloureux de son enfance fracassée par la guerre, l'auteur évoque la reconstruction de la mémoire. C'est un livre où l'évocation de l'intime et les théories sur la résilience (renaître de sa souffrance) se rejoignent.

Extraits : Lors de ma première naissance, je n’étais pas là. Mon corps est venu au monde le 26 juillet 1937 à Bordeaux. On me l’a dit. Je suis bien obligé d’y croire puisque je n’en ai aucun souvenir. Ma seconde naissance, elle, est en pleine mémoire. Une nuit, j’ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là 

À 6 ans, le mot «mort» n'est pas encore adulte. Il faut attendre un an ou deux pour que la représentation du temps donne accès à l'idée d'un arrêt définitif, irréversible.
Quand Mme Farges a dit : «Si vous le laissez vivre, on ne lui dira pas qu'il est juif», j'ai été très intéressé. Ces hommes voulaient donc que je ne vive pas. Cette phrase me faisait comprendre pourquoi ils avaient dirigé leur revolver vers moi quand ils m'avaient réveillé : torche électrique dans une main, revolver dans l'autre, chapeau de feutre, lunettes noires, col de veste relevé, quel événement surprenant ! C'est donc ainsi qu'on s'habille quand on veut tuer un enfant.
J'étais intrigué par le comportement de Mme Farges : en chemise de nuit, elle entassait mes vêtements dans une petite valise. C'est alors qu'elle a dit : «Si vous le laissez vivre, on ne lui dira pas qu'il est juif.» Je ne savais pas ce que c'était qu'être juif, mais je venais d'entendre qu'il suffisait de ne pas le dire pour être autorisé à vivre. Facile !
Un homme qui paraissait le chef a répondu : «Il faut faire disparaître ces enfants, sinon ils vont devenir des ennemis d'Hitler.» J'étais donc condamné à mort pour un crime que j'allais commettre.
L'homme qui est né en moi cette nuit-là a été planté dans mon âme par cette mise en scène : des revolvers pour me tuer, des lunettes noires la nuit, des soldats allemands fusil à l'épaule dans le couloir et surtout cette phrase étrange qui révélait ma condition de futur criminel.
J'en ai aussitôt conclu que les adultes n'étaient pas sérieux et que la vie était passionnante.
Vous n'allez pas me croire quand je vous dirai que j'ai mis longtemps à découvrir que, lors de cette nuit impensable, j'étais âgé de 6 ans et demi. J'ai eu besoin de repères sociaux pour apprendre que l'événement avait eu lieu le 10 janvier 1944, date de la rafle des Juifs bordelais. Pour cette seconde naissance, il a fallu qu'on me fournisse des jalons extérieurs à ma mémoire, afin de tenter de comprendre ce qui s'était passé.
(...)


Dans la mémoire de soi, la vérité des choses est partielle: on se rappelle presque rien des milliards de milliards d'informations qui chaque jour nous pénètrent. Puis, on fait une représentation avec ces presque riens qui donnent une forme imagée à ce que nous ressentons. C'est à ce théâtre intime que nous répondant en applaudissant, en pleurant ou en nous indignant, alors que nous ignorons les traces conscientes et les souvenirs empêchés de nos refoulements.

Mon Avis : Un livre bouleversant dans lequel l'auteur raconte sans complaisance, sans pathos, sa vie d'enfant qui n'a dû son salut qu'à son propre courage. De foyers en familles d'accueil, enfin recueilli par sa tante ce petit garçon raconte avec le sourire des histoires à défaut de pouvoir raconter sa véritable histoire à des adultes qui n'y croient pas tellement elle est incroyable. Il exalte la volonté de surmonter le malheur et de répondre à l’appel de la vie. Devenu médecin neuropsychiatre, Boris Cyrulnik prend à bras le corps les phénomènes de la mémoire et de la résilience. Il nous donne dans ce livre des exemples concrets venus directement de sa propre expérience. Il examine sous différents points de vue les souvenirs des faits, les confronte avec la réalité actuelle et celle qu'on lui raconte. Il nous explique que la vulnérabilité de l'enfant  à des évènements traumatisants est différente selon que l'enfant a reçu de sa famille un attachement-secure ou non. Les faux souvenirs ne sont pas des mensonges, ce sont des accommodements pour le meilleur et non pour le pire. "La vérité narrative n'est pas la vérité historique, elle est le remaniement qui rend l'existence supportable." C'est en partie la-dessus que j'ai construit le personnage de Léa dans mon roman "Se Départir" 
Ce n'est pas un livre compliqué, les théories sont claires et non pontifiantes et le récit d'une bouleversante sincérité. A lire même par un non scientifique.

Biographie: Boris Cyrulnik, né le 26 juillet 1937 à Bordeaux est neuro psychiatre et psychanalyste  Ancien animateur d'un groupe de recherche en éthologie clinique au Centre Hospitalier Intercommunal de Toulon-La Seyne-sur-Mer et directeur d'enseignement du diplôme universitaire (DU) "Clinique de l'attachement et des systèmes familiaux" à l'université du Sud-Toulon-Var, Boris Cyrulnik est surtout connu pour avoir vulgarisé le concept de résilience . Boris Cyrulnik voit d'abord l'éthologie comme « un carrefour de disciplines ».
Il est membre du comité d'honneur de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages.

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