La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



samedi 3 mars 2018

Je me souviens


Le TEM un théâtre école de qualité pour des salariés.
Je me souviens d’un long apprentissage ... Louise Caron



Cette école fut mise en place en 1965 dans les locaux d’un ancien centre de formation professionnelle, par Jean-Marie Binoche, Jean-Claude Ruas – poète et éditeur– et Jean Guerrin – comédien issu du TNP, élève de Jean Vilar. Elle fonctionnait sur le modèle des cours du soir (un peu sur le modèle des Arts et Métiers) et  permettait en fonction de la disponibilité des élèves d’acquérir en plusieurs années une formation complète à l’art dramatique. Au milieu des années 80, elle fut habilitée à la préparation aux concours d’entrée au CNSAD. 

            L’envie de devenir comédienne m’a toujours tenaillée. Par raison plutôt que par choix, j’ai suivi des études scientifiques. En 1983, après l’obtention de mon doctorat d’université en neurobiologie, je me suis dit que c’était le moment où jamais de me projeter dans mon rêve, je décidai de tenter ma chance au TEM. À la manière de Perec, je me souviens de petites choses à partir desquelles je me suis construite et qui continuent de m’accompagner depuis plus de trente ans.

            Je me souviens de ma première rentrée. C’était en septembre ’83. Le soir des inscriptions, la grande salle de la rue des Roches était pleine, des panneaux d'affichage bariolés, du bruit, des rires. Les anciens s’embrassaient, parlant entre eux des spectacles de l’année passée, des stages, des profs qui rempilaient. Les petits nouveaux, dont mon compagnon et moi faisions partie, étaient les plus nombreux, intimidés car selon la rumeur, le directeur, Jean Guerrin, n'avait pas la réputation d’être un tendre. Tout à coup le silence se fit. Un homme, plutôt petit, les cheveux en bataille à la Einstein, entra, pâle, fluet, pas souriant : Jean Guerrin le maître absolu des lieux, des choses et des gens. Il commença à parler, expliqua comment l’école fonctionnait et on comprit tous que ce serait difficile si on était sélectionnés (la sélection était drastique, les Montreuillois prioritaires). Les règles qu’il fallait accepter étaient claires — travail, assiduité, engagement sans faille, rigueur. Bien qu’habitant Paris XX°, je fus retenue. La semaine suivante la belle aventure commença. Elle dura cinq ans (deux  périodes de trois ans et 2 ans entrecoupées d’une pause de deux ans le temps de soutenir ma thèse d’Etat en biochimie). Le temps nécessaire pour me sentir prête à travailler avec une Compagnie. Au TEM, nous étions confrontés à l’interprétation, la technique, la mise en place des décors, l’élaboration des costumes, la mise en scène. Jouer en public n'était pas un droit. Il fallait le mériter par du travail et des résultats.  Il m’a été donné d’interpréter des classiques, de Molière à Brecht, mais aussi Ionesco, Minyana et tant d’autres auteurs qui commençaient juste à être publiés et qui m’ont donné envie d’écrire pour le théâtre.

 
          

Je me souviens que l’imagination était aux commandes. En mise en scène tout (ou presque) était possible. Tous les espaces devenaient aire de jeu.
            Je me souviens d’avoir joué, en troisième année, les Diablogues de Roland Dubillard, certains dans la cuisine, d’autres dans le vestiaire, le public tassé entre les rangées de costumes pendus aux tringles, et le dernier texte dans les toilettes…
            Je me souviens d’une enquête d’opinion menée, un samedi en fin d’après-midi, Place Jean-Jaurès, costumée en troubadour. Il fallait obtenir des habitants pressés leur avis sur la démolition de l’hôtel de ville.
            Je me souviens des 20 ans du TEM,  d’une descente en rappel d’hommes grenouilles le long de la façade de la mairie de Montreuil embrasée et d’un dîner servi en rouge et noir.
            Je me souviens des encadrants : Michèle Bisson, Jean-Louis Terengle, Annie Thomas, Pierre Vincent…et d’autres dont le nom m’échappe.
             Je me souviens que Jean régnait en maître. Un maître éclairé, respecté, compétent, bataillant sans cesse pour obtenir des soutiens financiers, menant avec succès une expérience d'enseignement du théâtre unique en France.
Je me souviens qu’à la mort de Jean en 2012,  Christian Schiaretti, lui aussi passé par le TEM,  a dit ceci : « La noblesse du TEM est d'avoir été à la fois un lieu militant de formation et un lieu où s'inventaient des initiatives scéniques. J'ai beaucoup de respect pour cette réalité-là »[1]
            Je me souviens d’avoir eu le bonheur de vivre cela.



http://www.ina.fr/video/CPF86640228


[1] Article en ligne http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2012/04/22/jean-guerrin-une-vie-dediee-au-theatre-pour-tous_1689292_3382.html

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