Un collectif de virtuoses
au Cratère d'Alès.
Vingt acteurs pour interpréter la pièce mise en scène par Sylvain Creuzevault.
“Le
capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du
travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage.”
"Ne
pensons plus, soyons heureux."
Le Capital et son singe est un OVNI qui tient de l’épopée de shakespearienne
ou du théâtre épique cher à Brecht.
Le sujet c’est le capitalisme dans sa force historique, sa
violence organique, orgiaque, ses mille et une ruses, mille et un artifices, sa capacité à nous faire
croire qu’il n’y a pas d’autre de modèle possible, qu’en dehors de la sphère
capitaliste, point de salut et que l’aliénation est inéluctable, et que notre vie doit se passer sous le joug du salariat. Un salaire qui nous permet à peine d'acheter (vendu avec un bénéfice) ce que l'on a produit en vendant sa force de travail.
Ce
spectacle, élaboré collectivement - improvisation,
écriture au plateau, remise en chantier quotidienne - s’empare du Livre de Marx,
Le Capital, texte élaboré à la fin de sa vie et resté inachevé,
édité en 1867.
Si tout le monde connaît le titre bien peu de gens
l’on lu, alors en faire une pièce de théâtre est osée. D’autres s’y sont frotté
aussi avec succès: par exemple Jacques Allaire et Luc Sabot (Marx
matériau, extention, production Théâtre des treize vents.)
Marx, dans la pièce, demeure invisible, il n’est représenté que sous
forme d’un masque en fil rouge. En revanche ses écrits ajoutés à ceux d’Engels -qui s’invite à la table - et beaucoup
d’autres d’autres comme Walter Benjamin, le situationiste Guy Debord (dans la
bouche du personnage Daniel), alimentent la conversation.
Et
c’est une analyse critique extraordinaire d’une société de travail sous une
organisation capitaliste de la production à laquelle on assiste, et grâce à un
formidable jeu à trois on va comprendre la différence entre la valeur d’usage et la valeur d’échange.
Le
choix scénographique et l’histoire
Un dispositif bifrontal
met le public sur des gradins, face à face, de chaque côté d’un espace occupé par plusieurs tables mises bout à
bout.
On est le 13 mai 1848, dans la salle du
Club des Amis du Peuple, rue Transnonain, à Paris.
Le
spectacle débute de façon anachronique par rapport au lieu.
Trois
voix pour un corps.
Brecht reçoit Michel Foucault et Freud. C’est plein de
références, la distanciation, das Verfremdung, le rapport entre le pouvoir et le savoir. Le
gardien unique de "Surveiller et punir", les obséssions brechtiennes (on va le
retrouver celui-là) dans la scène de la noce. C’est hilarant tant ça fourmille de
rapprochement et d’intelligence.
On asiste ensuite à la
réunion ce 13 mai, du nec plus ultra des républicains de tous bords, plus ou moins
révolutionnaires, tièdes, mous, déçus par le gouvernement issu de la nouvelle
Assemblée Constituante, fraîchement élue au suffrage universel direct
masculin... (là... les femmes protestent).
Pourtant, cette assemblée est bien peu
favorable aux mesures sociales, puisqu’elle est en majorité monarchiste !
Parmi les mécontents on retrouve autour de la table : le chimiste et homme politique Vincent-François
Raspail, le socialiste Auguste Blanqui et son copain Armand Barbès, Louis
Blanc et sa barbe… Le jeune Engels, ami et collaborateur de Marx assis en bout de table. L'Assemblée
entend s'affranchir de la pression populaire ? Attention, le peuple ne se laissera pas faire, le souvenir
de la révolution de 1792 est encore chaud.
Tous ces gaillards discutailllent des
moyens de la révolution autour d’assiettée de lentilles et de saucisses (de ma
place, c’était rose). L’ombre de Marx plane, car il a publié au début de la même
année, le Manifeste du parti communiste.
Et le tricotage continu.
Ils nous transportent en 1919, dans l’Allemagne défaite et en crise après la révolution, dans un
repas de noces (référence à la noce chez les petits bourgeois de B. B.,
l’armoire que le marié à faite lui même, la marié enceinte…) mais en plus
s’invitent dans la conversation Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, la défunte république de Weimar. Un ouvrier fait devant son patron l’apologie de la
mécanisation et de la chaîne. À la fin apparait Spartacus !
Tricotage encore, en
assiste à une improbable séance du procès de
Bourges.
Ce procès vire au vinaigre. Les accusés pressent des oranges...
Blanqui assure sa défense en faisant perdre pied à
la cour, Raspail fait son cirque, Barbès tourne la cour en ridicule.
Les acteurs réinventent ce
procès fantasque avec les armes du théâtre, le jeu, rire et la dérision. Et c’est un autre grand moment de
ce spectacle.
La fin sur un chant de la
Commune de Paris, La semaine Sanglante, émeut aux larmes.
Sauf des mouchards et des
gendarmes
On ne voit plus par les
chemins
Que des vieillards tristes
en larmes
Des veuves et des
orphelins
Paris suinte la misère
Les heureux même sont
tremblants
La mode est au conseil de
guerre
Et les pavés sont tout
sanglants
REFRAIN
Oui mais ça branle dans le
manche
Les mauvais jours finiront
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y
mettront (bis)
On traque on enchaîne on
fusille
Tous ceux qu’on ramasse au
hasard
La mère à côté de sa fille
L’enfant dans les bras du
vieillard
Les châtiments du drapeau
rouge
Sont remplacés par la
terreur
De tous les chenapans de
bouges
Valets de rois et
d’empereurs…
Musique
: Pierre DUPONT Paroles: Jean-Baptiste
CLÉMENT
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