La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



mercredi 26 juin 2013

Mes lectures du moment


Heureux les heureux de Yasmina Reza 
Ed. Flammarion (2013)

Résumé : Il y a Robert, Odile, Ernest, Jean, Marguerite, Jeannette, Lionel, Vincent, Raoul et les autres, serais-je tentée d’écrire. Ce sont des maris, des filles, des pères, des maitresses, des épouses, des collègues. Chacun des courts chapitres porte le nom d’un personnage. Parfois, le même revient et en remet une couche. Ce sont dix-huit individus qui prennent la parole et comme dans la Ronde d’Arthur Schnitzler, on assiste à des rencontres et peu à peu les liens entre ces gens et ceux de leur entourage se tissent et nous permettent d'y voir clair.

Extrait : Quand j'ai connu mon mari, il n'avait rien du tout, dit-elle, sa famille avait une mercerie rue Réaumur, minuscule, un trou à rats. A la fin de sa vie, il était grossiste, il avait trois magasins et un immeuble de rapports. Il voulait tout léguer à Israël. - Maman qu'est-ce qui te prend ? Qu'est-ce que tu racontes ! - C'est la vérité dit ma mère, sans même prendre la peine de  se retourner, on était une famille très unie, très heureuse, le seul point noir c'était Israël. Un jour je lui ai dit que les Juifs n'avaient pas besoin d'un pays, il a failli me battre. Une autre fois, Vincent a voulu descendre le Nil, il l'a foutu à la porte… Sur son lit de mort mon mari m'a demandé si j'étais toujours une ennemie d'israël, la patrie du peuple juif. J'ai répondu, mais non, bien sûr que non. Qu'est-ce que vous voulez dire à un homme qui ne va plus être là ? On lui dit ce qu'il a envie d'entendre. C'est bizarre de s'accrocher à des valeurs idiotes. A la dernière heure, quand tout va disparaître. La patrie, qui a besoin d'une patrie? Même la vie au bout d'un moment, c'est une valeur idiote. Même la vie, vous ne croyez pas? dit ma mère en soupirant.


Mon Avis : C'est un beau roman, un de ses premiers « vrais » romans d'ailleurs de la dramaturge Yasmina Reza. L’humour noir, l’ironie sous jacente réjouiront ceux qui comme moi aiment être dérangés dans leur confort et leurs certitudes. Rien que le titre  en dit déjà beaucoup, il plagie les huit Béatitudes du Sermon sur la montagne, formule reprise par J. L. Borgès. « felices los felices ».
Dans ces courts récits écrits à la première personne qui pourraient être aussi une suite de monologues doux-amers pour la scène, dix-huit écorchés vifs se débattent comme ils peuvent avec la vie qui s’échappe, les rêves et les idéaux, la spiritualité juive revue et corrigée. Les plus heureux de cette sarabande ne sont-ils pas les fous ou les morts ? « Même la vie, au bout d'un moment, c'est une valeur idiote »  dit la mère de Vincent. 
D'un chapitre à l'autre Yasmina Reza, par petites touches, compose une sorte de large comédie humaine où ses protagonistes se livrent sur l'amitié, l'amour, la réussite, le pouvoir, la filiation, la métaphysique, la maladie qui ronge, le malade qu’on prolonge. C’est drôle et caustique. Elle nous mène dans les labyrinthes émotionels, le quotidien de ses personnages qui finalement nous ressemblent. La construction du roman par imbrication des destins fait penser à la peinture impressionniste ou aux tableaux de Jean-Pierre Blanchard, à ses portraits qui nous livrent l'image définitive qu’au denier coup de brosse. Je recommande ce livre à ceux qui sont sensibles aux petits riens de l'existence et à la musique de l'écriture. Un dernier conseil: Relisez-le quand vous aurez saisi les liens entre tous les personnages. On y prend un autre plaisir.

Biographie : voir le lien 

1 commentaire:

  1. Nicole De Bodt26 juin 2013 à 13:51

    Le genre de roman qui devrait me séduire. Merci pour vos commentaires toujours aussi pointus et motivants. Je l'ajoute à ma liste.

    RépondreSupprimer