La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



samedi 8 février 2014

Avant-Goût

De l'écriture jusqu'au plateau.

Depuis quelques mois, je suis en relation - sans la connaître autrement que par nos échanges -  avec une jeune femme qui partage mon goût de l'écriture et finalement nous nous retrouvons dans un univers commun, avec une certaine vision artistique du monde, peinture, littérature, théâtre. Nous jouons l'une pour l'autre le rôle de relectrice de nos tentatives romanesques et stylistiques. 
Maëlla, c'est son nom, écrit bien, elle a aussi un jugement assez sûr, beaucoup de recul, des critiques constructives sans être démoralisantes et nos échanges sont un réel plaisir et font avancer notre travail littéraire.

Ceux qui fréquentent mon blog savent peut-être que je travaille à l'adaptation romanesque de ma pièce "Comme un parfum d'épices dans les odeurs de menthe". 
Maëlla a lu un extrait de mon premier jet romanesque (bien imparfait et tout à fait incomplet) et pour qu'elle ait un appui des grandes lignes, je lui ai envoyé le texte de la pièce qui va être éditée à la Librairie théâtrale.

Elle vient de faire retour de son analyse de la pièce que je trouve fort pertinente et que je recopie ci-dessous.
Je pense que les comédiens qui travaillent actuellement à monter ce texte pourraient lui apporter des réponses et peut-être trouver dans son analyse de quoi nourrir leur jeu.


Illustration de Comme un parfum... par Maëlla sur une musique de Bach en fond pour l'ambiance


Impressions globales DE MAELLA SUR

« Comme un parfum d’épices dans les odeurs de menthe » 
ET REPONSES DE L'AUTEURE (Louise Caron)

Structure : Partie 1 (Sohrab) et 2 (Miréla) sont actions et chronologie. Partie 3 (Niko) au contraire ne se passe pas seulement en actions mais aussi en souvenirs, ce qui permet d’avoir les pensées de chacun mais aussi d’éviter les scènes « gores ». Il est probablement plus difficile de seulement lire que de voir cette pièce, il faut s’imaginer la mise en place pour s’en faire une idée claire mais j’ai eu très envie de déclamer certaines répliques de Miréla, je regrette de ne pas pouvoir venir à la représentation en préparation.

Réponse : Pour lire beaucoup de théâtre je saisis bien qu’il est plus difficile de lire une pièce qu’un texte romanesque ou un essai. Parce que tout simplement, le lecteur  doit faire tout le travail que feront le metteur en scène et les comédiens.
L’auteur ne donne aux lecteurs pratiquement pas de narration descriptive sur laquelle un lecteur a besoin de s’appuyer. 
Par exemple,  dans la vie ou dans un roman si on veut montrer qu’il fait noir. On écrit « La nuit est tombé, tout est maintenant obscur. » 
Au théâtre l’auteur; appelons-le « le dramaturge », indiquera dans les didascalies (la nuit tombe) et le metteur en scène pour rendre cela perceptible au public, n’éteindra pas les projecteurs  ce qui signifierai que le spectacle est terminé ou qu’on est à un changement de scène, donc le metteur en scène pour indiqué la nuit, baissera les projos, et sur le plateau l’obscurité sera "visible" en faisant craquer une allumette par le comédien, ou en allumant une bougie, donc traduire un état par une action...
Pour un dramaturge l’idée de sa pièce se base sur un événement scénique qui est le résultat d’une suite d’évènements non décrits qui l’ont précédé (cela est vrai aussi dans un roman). Mais restons au théâtre, par exemple, dans Le Cid, Corneille a écrit un drame de l’entrave de l’amour.
Le conflit (tuer le père de celle qu’il aime) permet à Rodrigue de devenir de manière inespérée un héros tout en préservant son amour. Il n’y a pas d'histoire, seulement une suite d’événements. Il faut que le conflit dans une pièce se produise entre deux principes égaux en droit. 
Le spectateur ne doit pas assister à la représentation du triomphe de la justice (ou de l’injustice) mais doit assister au conflit qui les oppose. Il jugera d'après sa propre mentalité ou ne jugera pas.
Par exemple dans "Comme un parfum.." Niko a tué Miréla par erreur, mais il voudrait "payer" pour cela comme si expier ce crime-là lui permettrait d'expier d'autres morts commises au nom de la guerre ou expier l'assassinat se ses oncles. 
Sa mère au contraire, au nom de son amour pour son fils, de son angoisse à rester seule, ne veut pas qu'il soit puni et préfère le savoir malheureux et aliéné  mais libre, plutôt qu'en prison et délivré se son fardeau.
On a en présence deux conceptions diamétralement opposé de ce qui est juste ou pas. Au spectateur de choisir moi auteur je mets en conflit deux principes également défendable non pas du point de vue de la morale mais du point de vue de l'être humain.

Le dramaturge construit ses personnages exactement comme l’auteur d'un roman (carte d’identité, passé, présent…) mais il leur donne LA PAROLE.  En général (pas toujours, et de moins en moins en écriture contemporaine, c'est parfois un problème), ils s’adressent les uns aux autres directement. Seulement, si tout le monde est d’accord sur tout, on s’ennuie très vite, on tombe dans le propos de salon, la météo, toi ça va moi ça va,  une situation où on évite tout ce qui fâche. On ne fait pas de spectacle (ou de livres) avec des bons sentiments et du consensus.
C’est par les paroles que l’action progresse. L'auteur insuffle dans les dialogues des émotions à ses personnages au service d’un « conflit ». On désigne par conflit l’enjeu dramatique et thématique de la pièce. Un conflit ne se résume pas à une dispute, il y a des conflits intérieurs aussi. Ce sont  donc les conflits entre les personnages et au sein de leurs consciences qui vont permettent de comprendre l’histoire. Et ça, c’est différent dans l’écrit romanesque. Pourtant, ce qui est de même nature c’est que l’écrivain érige des obstacles aux intentions, aux envies de ses personnages afin de produire des détours imprévisibles mettant en danger les objectifs mêmes de ses personnages.

Graphie : La présentation « en vers » (tes sauts à la ligne presque systématiques) ne facilite pas réellement la lecture mais peut-être facilite-t-elle le travail de l’acteur ? Je n’en sais pas grand-chose, à vrai dire, je n’ai été actrice qu’une seule fois dans la vie. (Sortie hors de son contexte, cette phrase porterait à confusion.) Quoiqu’il en soit, à la lecture muette, elle gêne un peu. Cette graphie particulière marque aussi une rupture intéressante avec la façon de parler de la majorité des personnages plutôt brutal, populaire ou injurieux. (Vers ≠ populaire)

Réponse :  En écriture contemporaine, on assiste à une déconstruction de la façon d'écrire et par conséquent de dire. 
De plus en plus, on réfute l’idée de la pièce bien faite, chère aux auteurs classiques, critiquée par les romantiques et abolie par les auteurs depuis Tchékhov. 
Il n’y a maintenant la plupart du temps plus d’actes. On écrit des scènes, oui parce que la scène (ou le tableau) est l’unité du conflit dramatique. Les acteurs ne se parlent plus directement, mais font parfois de longs monologues – sortes de pièce dans la pièce-, on assiste à des flash back de type cinématographiques… On est donc dans la déconstruction d’une architecture classique au profit d’une autre architecture moins "emboitée" moins lisse mais qui n'en existe pas moins.
Pour en revenir à la « versification » (ce ne sont pas des vers), ce sont des échappements des paroles, des pauses dans la pensée. Cela ne facilite par la lecture avec les yeux mais dès qu’on passe à l’oralité cet obstacle qu’est le retour à la ligne (comme parfois l’absence de ponctuation) donne une palette possible d’interprétation. Un texte de théâtre est fait pour être lu à haute voix. J'aimerai bien savoir ce que les comédiens et le metteur en scène qui se sont emparés du texte en pensent
Tu y as vu une sorte de rupture entre les mots grossiers ou populaires, et la façon de les dire. 
La vérité est certainement là. 
Ecrire comme on parle n’existe pas en art. Il faut réinventer un « faux langage parlé » qui ne soit pas le langage de tous les jours mais qui sonne vrai dans la bouche du comédien, sinon on est dans le sitcom ou la série télé. L-F. Céline a le premier compris cela en écrivant Voyage au bout de la nuit et ses romans suivants.

Personnages :

Niko : Sa façon de parler m’a semblé moins choquante et plus abordable que celle que tu lui as donnée dans le 1er jet du roman. Je trouve qu’on y ressent l’amour des mots et de leur manipulation. (Son rêve d’écrire) Il évoque avec sa mère la mort de ses oncles : Ai-je bien compris, ils les ont empoissonnés grâce à une omelette aux champignons ? A la lecture, je suis restée sur un doute.

Réponse : Il y a chez Niko un réel amour des mots. L’amour de quelqu’un qui n'est pas très cultivé mais qui a découvert que la littérature est une porte de sortie par le haut de sa condition  
Dans le roman, la différence vient du fait que je le place dans sa fonction de soldat alors que dans la pièce je le place dans sa fonction de « malade » par certain côté victime mais je n'aime pas ce mot.
Oui tu as bien compris, il y a eu empoisonnement. Le doute fait partie du théâtre. Et c’est au spectateur de savoir s'il a bien compris ou pas. En revanche, le comédien qui jouera Niko et la comédienne qui jouera sa mère devront dans leur travail préalable au jeu avoir tranché et savoir dans leur for intérieur ce qui s’est exactement passé avec les oncles. S’ils ne le savent pas avant de jouer, ils ne joueront pas juste cette scène ni celle de la fin lorsque Niko accuse sa mère de vouloir tout couvrir.

Sohrab + Niko : Je n’avais pas du tout compris que Niko et Sohrab sont attirés l’un par l’autre. La scène du souvenir à Bagdad (scène 5) a été une réelle nouveauté et une révélation pour moi, elle donne une nouvelle profondeur aux personnages. Niveau stylistique, c’est également magnifique car elle reprend les caractéristiques d’une scène d’amour tout en racontant quelque chose de foncièrement différent. (La scène de souvenir entre Miréla et Niko (6) qui suit et reprend d’une certaine manière la structure de la précédente fait un effet miroir parfait mais détourné.)  Par contre, j’ai compris seulement après qu’il s’agissait de souvenir, après avoir lu la réplique « il parle tout seul » de la mère de Niko.

Réponse : Oui, et dans le roman aussi on aura cette attirance (répulsion). N’as-tu jamais remarqué que le danger est un puissant support à l’exacerbation des sensations, sentiments, désirs, pulsions…
De plus on est dans un monde (le Moyen-Orient) qui cadenasse les corps et forcement parfois un regard échangé peut susciter plus de désir qu’un attouchement. Sans compter la chaleur...
Dans le roman je suis justement en train d’écrire cette scène-là, ce sera forcément traité différemment, car dans la pièce on est dans la « ressouvenance » id est, la reconstitution de sensations à travers le prisme du souvenir (du rêve) et donc des déformations possibles. 
De plus, ce que le metteur en scène devra décider pour faire jouer cette scène (et la suivante celle de Miréla) c’est si ce souvenir appartient seulement à Niko :  il invente ce que l’Autre pense dans son cinéma intérieur; ou bien, on est dans un monde paradoxal où  dans le rêve éveillé de Niko les « apparitions » existent pour ce qu'elles ont été des femmes réelles (qui ressurgissent) et ce qu'elles disent expriment la réalité de ce qu’elles ont ressenti et vécu.Le choix donnera à ces scènes des sens différents. Dans le premier cas on a juste l’imaginaire de Niko qui extrapole les idées de se compagnes;  dans l’autre on assiste à un passé qui a existé pour de vrai. 
Pour Niko/Miréla je penche pour cette deuxième voie. 
Pour Niko/Sohrab c’est un choix.

C'est au metteur en scène de trancher pas à l'auteur.

Pour moi, il n’y avait pas d’ambiguïté dans le fait que Niko/Miréla était un flash back. Indépendamment de la réplique « « il parle tout seul » de la mère de Niko. »

L’homme : Personnage secondaire qui m’avait plu, même si je l’ai confondu avec Niko. (Comme quoi, l’influence des connaissances préalables du lecteur.) Il est l’occasion de présenter Miréla et ne représente un atout pour le lecteur qu’à par rapport à celle-ci, je me suis demandée s’il était essentiel à la pièce car c’est le seul personnage qui n’y a pas une action décisive.

Réponse :  L’Homme  est en effet un moyen de faire connaître Miréla, de montrer aussi le milieu dans lequel sa famille de gitans évolue (jeu, triche… voiture volée) 
Il est essentiel  parce qu’il sert également le conflit entre Miréla et sa mère. 
Il est l’élément à qui Miréla donne rendez-vous la nuit au bord du marais, il est sans le savoir  celui qui la conduit à l’événement déclencheur, la rencontre Niko et le déchainement de sa violence . L'homme est le catalyseur (la catharsis) et de ce qui va s’en suivre pour Niko (prise de conscience de sa violence, de ce que la guerre a fait de lui, de ce que  la camisole chimique entrave et enfin l’horreur que représente le fait qu’on lui dénie ses actions (mauvaises) et qu’on veuille par protection le priver d’une reconstruction par la punition.
Pour en revenir à L’homme, il est le bouc émissaire désigné par la mère pour le meurtre de Miréla.

Style : Il y a de nombreuses figures filées tout au long du texte. A commencer par les différences de parler des personnages selon leurs interlocuteurs et le contexte, ce que tu as très bien travaillé (Surtout la mère de Niko, où le choix des mots est finement pesé). Il y a également celle des odeurs soulignées par le titre (épices, menthe, rose, lilas). Par ailleurs, il y a un humour un peu noir que j’avais déjà vu dans « Se départir » et que j’apprécie d’autant plus ici. De mémoire par exemple, la phrase de Sohrab sur la virilité de Mustapha, l’omelette et les œufs cassés.

Réponse :  Pour moi le style est le facteur le plus important de l’écriture. Il doit y avoir une cohérence entre la façon de s’exprimer des personnages et ce qu’ils sont. C’est essentiel au théâtre (encore plus que dans les romans où l'auteur décrit le contexte). La parole en dit long sur la personnalité (comme les goûts artistiques par exemple des personnages dévoilent plus sur eux que de longs développements, par exemple, quelqu’un qui ne lit que Gala, Vanity fair ou Closer n’est pas la même personne que celle qui lit Yourcenar et Claudel idem pour la peinture, la sculpture, la poésie…j’utilise souvent cela dans mes histoires, sans y mettre de jugement de valeur.).
Le choix des mots est important, leur métrique, leur sonorité. Je les choisis soigneusement pour obtenir l’effet souhaité et l'écho en bouche.
L’humour noir… oui certainement. Je ne peux pas m’en empêcher.

Incompréhensions : Il n’y a que deux éléments lexicaux que je n’ai pas réellement compris : « touffeur » (p.20 bas de page) et cette phrase « Elle était drôle » (p.35 bas de page), parle-t-il de Lily ? De Sohrab ? De Miréla ? Je m’emmêle un peu là.

Réponse : touffeur = chaleur moite.
Elle était drôle se rapporte à Miréla. Il parle d’elle au passé puisque la scène a eu lieu la veille.


Mon avis:

Maëlla fait une comparaison des 2 formes (théâtre/roman) et forcément il y a des différences de traitement. Que le contexte global dans la pièce est donné par la scénographie et la dramaturgie alliées au jeu des acteurs alors que c'est la description et la narration qui sont moteurs dans le roman. J'ai tenté d'apporter quelques réponses.

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