La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



dimanche 13 septembre 2015

Mes lectures du moment

Le principe de Jérôme Ferrari Eds Actes Sud (2015)


Résumé: Résumer un livre est souvent le trahir, alors je vais en dire le moins possible. Un étudiant sèche à l'oral sur la figure du physicien allemand Werner Heisenberg (1901-1976), fondateur de la mécanique quantique, inventeur du célèbre “principe d’incertitude” et Prix Nobel de physique en 1932. Cet étudiant à postériori s'interroge dans une réflexion narcissique à l’aube du XXIe siècle, sur l’incomplétude de sa propre existence. Cela l'amène à mettre en perspective la destinée de W.H. (en tant qu'homme et en tant que scientifique) qui incarne - pour lui l'étudiant en philosophie des sciences - la rencontre du langage scientifique et de la poésie. 

Extraits : "Et Werner Heisenberg, dont la jeunesse éclatante a subitement disparu sans laisser aucune trace, pense peut-être qu'il y a bien longtemps, au sortir d'une autre guerre, en un temps de défaite et de révolutions, un vieux mathématicien et son caniche démoniaque en avaient eu le pressentiment mystérieux. Le professeur von Lindemann avait vu ce que le garçon timide qui voulait étudier les mathématiques et se tenait alors plein d'espoir devant son bureau portait déjà en lui, sans même le savoir.
Une énergie mauvaise qui rayonnait silencieusement.
Les germes du péché, sa souillure indélébile.
La promesse d'un destin parodiant le hasard dont l'accomplissement inéluctable serait tout à la fois un triomphe, une chute et une malédiction.
Le professeur von Lindemann ne pouvait qu'être saisi d'une horreur sacrée et chasser de chez lui ce garçon dans lequel Werner Heisenberg ne se reconnaît peut-être pas mais qui suscite cependant en lui la nostalgie irrésistible, non de la jeunesse, mais de l'innocence perdue."

"Vous, vous ne cherchez pas la mort, vous la fuyez au contraire autant que vous le pouvez, vous ne prenez pas de risques inutiles et jamais vous n'auriez eu l'imprudence de proclamer publiquement, comme le fera Ernstel Jünger, que si l'on pendait Hitler, vous feriez le voyage à pied jusqu'à Berlin pour tirer sur la corde. Vous avez peur, pour ceux que vous aimez, pour vous-même. Vous voulez vivre parce que vous savez qu'on ne lutte pas contre un monde qui consacre toutes ses forces à célébrer le culte obscène de la mort en lui offrant une mort supplémentaire, fût-elle parfaite, mais en lui opposant l'obstination imparfaite de la vie et vous vivez encore, vous vivez obstinément, alors que l'avion d'Hans Euler plonge en flammes vers la mer d'Azov et qu'en Italie, à Carrare, un jeune garçon qui ne saura pas comment finit La Chartreuse de Parme est étendu immobile, ses yeux grand ouverts tournés vers le ciel, sur les falaises de marbre que son père inconsolable a dressées pour lui comme un berceau."

Mon avis : Je n'ai pas vraiment apprécié ce roman qui s'apparente davantage à un essai. Je me garderai bien de dire qu'il est bon ou mauvais. Le principe d'incertitude s'étant abattu sur moi à sa lecture.
De mon point de vue, l'auteur est passé à côté du sujet - celui qui est énoncé sur la quatrième de couverture- à savoir "... ce  roman qui fait entrer en résonance les tragédies du dernier conflit mondial et une modernité rongée par les passions économiques..."

La critique est divisée. Les média officiels, la télé, les magazines, sollicités par les attaché(e)s de presse, en font des tonnes dans l'épandage d'encens aux pieds de cet ancien Prix Goncourt 2012, je cite Télérama puis Le Monde : 
"En brossant le portrait du physicien qui inventa le principe d'incertitude, Jérôme Ferrari dit l'incapacité des êtres à tout comprendre du monde." 
"L’essentiel du Principe est accessible, et beau, ­réflexion sur une trajectoire et sur l’impossibilité de la fixer, méditation parfois somptueuse sur la corruption des idéaux par le contact avec la matière."
Les avis des vrais lecteurs, sur les sites, sont plutôt mitigés. 
Certains ne se sont pas laissés embarquer, d'autres n'y ont rien compris, car le principe d'Heisenberg qui énonce qu'il est impossible de déterminer avec certitude en même temps la vitesse et la position d'une particule n'est pas un concept facile à rendre en littérature. 
Alors l'auteur à choisi d'illustrer le propos par une littérature "floue", agitée de particules mises en phrases brillantes certes mais dont on ne peut déterminer avec certitude ni la portée scientifique ni la portée philosophique. Les métaphores employées pour illustrer le fameux principe sont autant de nébuleuses qui contribuent à rendre le livre peu accessible.

L'emphase que j'avais déjà remarquée et critiquée dans "Le sermon sur la chute de Rome" est augmentée  ici par l'emploi du vocatif. Jérôme s'adresse à Werner du tac au tac par un Vous flamboyant ! J'ai bien aimé ce parti pris même s'il engendre un léger trouble chez le lecteur. Vous est conté par Je. Et c'est là que ça se gâte. Je - le personnage de l'étudiant-  ne présentant pas beaucoup d'intérêt dans sa position de fumiste patenté et prétentieux obnubilé par le savant-poète.
Quand à l'histoire d'Heisenberg, sa biographie, on la décrypte de façon décousue. Ses états d'âme à rester ou à quitte l'Allemagne, à aider ou à retarder la recherche nucléaire nazie, sont entremêlés aux réfections de JE.
A la fin de la guerre, le physicien devra donner quelques explications aux Alliés. Et c'est pendant ces mois de rétention dans une confortable maison qu'il apprend ce qui s'est passé à Hiroshima. 
S'ouvre enfin une véritable réflexion philosophique sur la science et ses finalités. C'est pour moi, la meilleure partie du livre, celle qui tient de l'essai.

Je conseille à ceux que les théories quantiques intéressent de se reporter à l'ouvrage lumineux d'Etienne Klein "Il était sept fois la révolution".

Biographie : Né à Paris en 1968, agrégé de philosophie, Jérôme Ferrari a enseigné en Algérie puis en Corse. Depuis septembre 2012, il est en poste dans les Emirats arabes unis. Chez Actes Sud, il est l'auteur de quatre romans : Dans le secret (2007; Babel n° 1022), Balco Atlantico (2008), Un dieu un animal (2009, prix Landerneau ; Babel n ° 1113) et Où j'ai laissé mon âme (2010, prix du roman France Télévisions, prix Initiales, prix Larbaud, grand prix Poncetton de la SGDL)

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