Qui est J-L. Lagarce ?
Jean-Luc Lagarce (1957-1995) est actuellement l’auteur
contemporain le plus joué en France. Metteur en scène de textes classiques
aussi bien que de ses propres pièces, c’est en tant que tel qu’il accède à la
reconnaissance de son vivant. Depuis sa disparition, son œuvre littéraire
(vingt-cinq pièces de théâtre, trois récits, un livret d’opéra…) connaît un
succès public et critique grandissant ; elle est traduite en vingt-cinq
langues.
Les Prétendants
Cette pièce a
été écrite dans le cadre d'une commande de l'Espace Planoise (Besançon) et du
ministère de la Culture.
A propos des "Prétendants" mise en scène par
Jean-Pierre Vincent
23 novembre 2002
23 novembre 2002
Une étrange entreprise
C’est vers 1983-1984 que Lagarce s’est
lancé dans cette aventure. Il voulait écrire un texte qui regarde la France
contemporaine en face. L’affaire était périlleuse.
Beaucoup avaient renoncé
d’avance, certains s’y étaient usé les dents. Son journal intime porte les
marques de nombreuses et longues difficultés, d’abandons temporaires, d’affres
diverses. Ainsi plusieurs années furent-elles nécessaires pour venir à bout de
ce projet. Mais quel saisissant résultat !
Lagarce avait sous les yeux
quotidiennement une France provinciale (Besançon pour ne pas la nommer) et le
monde de la culture. C’est donc de ces deux données qu’il est parti. L’anecdote
est, comme toujours chez lui, fort simple, mais ce n’est que l’anecdote. Nous
assistons, un jour d’automne, à une sorte de cérémonie de passation de pouvoirs
dans un établissement culturel. Pas un Conseil d’Administration, non, car
justement les tractations politiques entre État et Municipalité ont mené à sa
suppression (tour de passe-passe). Il y a là l’envoyé du Ministère, inspecteur
fatigué, l’adjointe à la Culture bourrée d’énergie électorale, l’ancien et le
nouveau directeur de l’établissement bien sûr, les cadres de la maison, les
vieux membres dépassés du fameux Conseil d’Administration… Journée de dupes, de
manœuvres, d’angoisses, de crises, autour d’un enjeu vital pour chacun mais
dérisoire au regard de l’histoire du monde.
Certes, le fait qu’il s’agisse d’un
vivarium culturel avec ses manies et ses travers, avec les personnages bien
connus de sa commedia dell’arte, peut faire sourire les professionnels de la
corporation… Mais, au fond, la situation est celle de toute entreprise de
quelques salariés au moment où arrive un nouveau (et jeune) directeur, qui plus
est flanqué d’un adjoint dont on ne sait quelle fonction (et donc la place de
qui) il prendra…
Étrangement, presque tous et toutes
sont accompagné(e)s de leurs conjoint(e)s. On découvrira peu à peu que tout
cela est une affaire de famille. Mais surtout, ceci permet à Lagarce de tisser
des petits malheurs privés qui viennent s’entrelacer avec les avanies
publiques. C’est ainsi qu’il échappe brillamment au simple constat
sociologique, à la simple description d’un état de fait collectif.
La tragi-comédie du langage
Dix-sept personnages sont en scène durant toute la pièce, ou presque : une société en petit, où chacun joue son destin à court terme. Comme tous les personnages de théâtre, et beaucoup de personnages sociaux, ils parlent pour vivre, survivre. Mais dans le théâtre de Lagarce, le langage, ou plutôt la parole, occupe un espace très spécifique : comme une entité flottante à partir des êtres, autour d’eux, entre eux. Et la parole est le lieu de multiples catastrophes : d’où s’ensuivent des erreurs difficiles à rattraper, des démarches qui produisent un effet inattendu voire contraire, dénégations, antiphrases, mots et gestes manqués, lapsus révélateurs, tout un festival de non-relations dans la relation. C’est ainsi qu’on vit, souvent, c’est ce que Lagarce cherche, souvent, à nous dire de nous.
Dix-sept personnages sont en scène durant toute la pièce, ou presque : une société en petit, où chacun joue son destin à court terme. Comme tous les personnages de théâtre, et beaucoup de personnages sociaux, ils parlent pour vivre, survivre. Mais dans le théâtre de Lagarce, le langage, ou plutôt la parole, occupe un espace très spécifique : comme une entité flottante à partir des êtres, autour d’eux, entre eux. Et la parole est le lieu de multiples catastrophes : d’où s’ensuivent des erreurs difficiles à rattraper, des démarches qui produisent un effet inattendu voire contraire, dénégations, antiphrases, mots et gestes manqués, lapsus révélateurs, tout un festival de non-relations dans la relation. C’est ainsi qu’on vit, souvent, c’est ce que Lagarce cherche, souvent, à nous dire de nous.
Ainsi, notre petite colonie va-t-elle
osciller sans cesse entre le pitoyable, le touchant, voire le tragique, et le
cocasse, le ridicule, voire le burlesque. On ne sait jamais trop s’il faut en
rire ou en pleurer.
Monter « Les
Prétendants »
C’est écouter chaque mot. Aucune de ces paroles, y compris la plus anodine en apparence, ne doit être minorisée. La partition ne comporte que des notes nécessaires. C’est bien une partition : double chœur à 17 voix. Pour les acteurs : une réplique en moyenne toutes les dix-sept répliques… Cela suppose un mode d’existence scénique très particulier. Cela suppose aussi une manière unique d’organiser les répétitions, de se concentrer, de construire le spectacle.
C’est écouter chaque mot. Aucune de ces paroles, y compris la plus anodine en apparence, ne doit être minorisée. La partition ne comporte que des notes nécessaires. C’est bien une partition : double chœur à 17 voix. Pour les acteurs : une réplique en moyenne toutes les dix-sept répliques… Cela suppose un mode d’existence scénique très particulier. Cela suppose aussi une manière unique d’organiser les répétitions, de se concentrer, de construire le spectacle.
Pas d’a parte. Les murmures sont
publics. Tout doit être entendu.
Il faut à la fois laisser la bride sur le cou
aux acteurs et travailler avec eux une extraordinaire précision d’intentions.
Pas de « démonstration » : humilité, émotions,
bafouillements organisés au ras de l’humain. Modestie du jeu, même si l’on
s’est fouillé la cervelle et la sensibilité pour y parvenir. Moments
d’indescriptible désordre où tout devrait apparaître plus clair que dans une
chose savamment ordonnée.
Être aussi justes et vrais que des acteurs AMATEURS,
en employant d’autres moyens.
Des passages « aléatoires »
comme dans la musique contemporaine, avec rendezvous au point d’orgue.
Scénographie
un présentoir à acteurs-personnages,
pur, quasi abstrait, comme un lieu d’exposition où les personnages des
tableaux, ou des photographies, se baladeraient en liberté confinée. Une
machine à entrer et sortir tout simplement.
Il fallait éviter la description
réaliste, même transposée, d’une architecture «culturelle», avec ses
circulations obligées. Le récit de Lagarce ne se limite pas à une description
véridique : la vérité est dans les cœurs, les mots, dans l’air qui flotte
entre les personnages.
Les acteurs
Il fallait réunir dix-sept acteurs de
tous âges et de tous poils. Passionnant assemblage. J’ai cherché à composer ce
tableau vivant en rejoignant plusieurs de mes familles :
Les « anciens » : Michèle Foucher, Alain Rimoux et Rémy
Carpentier, du temps du TNS et encore bien
avant.
Les « récents » : Valérie Blanchon, Flore Lefebvre
des Noëttes, Éric Frey, Pierre Gondard, Philippe Crubézy, Olivier Angèle, rencontrés
assidûment durant les dernières années de Nanterre (depuis Karl Marx Théâtre
Inédit jusqu’à Lorenzaccio, en passant par Le Jeu de l’amour et
du hasard, Homme pour homme et Tartuffe).
Les « petits » :
Nadège Taravellier, Alexandre Le Nours et Xuan Dao, frais émoulus de l’ERAC et
du Pancomedia de Botho Strauss.
Les « nouveaux » :
pour certains de vieux amis, mais avec qui je n’avais jamais jamais navigué. Et
l’occasion s’est offerte : Anne Benoit et Guillaume Lévêque (de la famille
Françon..), Lucien Marchal (qui accueillit autrefois Les Prétendants,
montés par François Rancillac avec des amateurs, dans son « Théâtre
en Actes »), Jean-Charles Dumay (de la famille Fisbach..), et… Charlotte
Maury-Sentier, pour la bonne bouche.
Magnifique kaléïdoscope humain à l’orée
des répétitions. Unis par les liens secrets de toute une histoire de travail
théâtral, unis dans l’amour de la pièce. Se découvrant et se re-découvrant par
le filtre magique de feu Jean-Luc Lagarce, qui peut-être va revivre avec nous.
Jean-Pierre Vincent,
Vidéo d'un travail de répétition sous la direction de J-P. Vincent
Vidéo d'un travail de répétition sous la direction de J-P. Vincent
Comment allons-nous avec l'atelier T2A attaquer ce travail ?
Tout d'abord, contrairement à ce qu'en dit J-P. Vincent nous n'essaierons pas d'être vrais à la façon des AMATEURS. Je crois que J.P. V. se trompe d'analyse.
Comme beaucoup de metteurs en scène, il pense qu'il y a une fraîcheur de jeu, une vérité qui vient de M. Tout le Monde, de la rue et que le comédien professionnel aurait perdu à cause du travail et de l'interprétation.
Nous allons au contraire partir du jeu pour aller vers la vérité du mot.
Travailler Lagarce c'est tout d'abord faire un travail sur la précision du discours et sur les sentiments qui se dissimulent sous les mots.
Si on se contente d'analyser la situation, elle est très banale: un nouveau directeur , dans notre cas une directrice plus jeune flanquée de sa jeune collaboratrice dont on ne sait quelle place elle va prendre, parachutée par le ministère de la culture. Elle est intronisé pour prendre la succession de l'ancien directeur jugé has been.
Si on se contente d'un réalisme total on tombe dans le sit-com à la française car tous les ingrédients sont réunis pour rester au ras des rapports humains.
Pour des raisons de distributions nous vans été amenés à concentrer l'action sur 9 personnages au lieu des 17 initialement prévus.
Les rôles des vieux du conseil d'administration etde Mariani le représentant du ministère ont dû être sacrifiés à notre grand regret, mais la présence de ce dernier (hors-jeu) pèsera tout de même sur la petite communauté.
Nous aurons donc à traiter deux plans: le plan des rapports intimes (entre couples) et le plan des rapports de pouvoir entre les individus au sein du Centre culturel.
La bataille des anciens et des modernes.
Sont rassemblés sur scène les anciens et les nouveaux dans un huis-clos que je lis comme Tchékovien. Cette pièce ramène à la Cerisaie, passation de pouvoir d'une maison perdue qu'il faut sauver et quitter.
Les personnages ne seraient que des archétypes avec un rôle assigné à l'avance (l'arriviste, le conservateur, l'introverti, la peste…) si nous ne trouvions pas à faire surgir de leurs discours des sentiments.
Pour donner une vraie vie à la pièce, il faudra respecter le discours et sa précision, tout montrer sans dissimulation, mais trouver dans les personnages, gestuelle, attitudes qui dérapent comme le discours lui-même, afin que la réalité elle-même passe au travers du prisme du théâtre pour que le spectateur n'assiste pas à un film réaliste ou une série télé, mais à une déliquescence des rapports humains, dans des relations/ non-relation.
Au niveau de la scénographie, nous profiterons du lieu de répétition et de sa froideur qui cadre avec le "décor" pour élaborer un espace scénique qu'il faudra organiser et désorganiser en fonction du désordre qui va se créer.
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