La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



samedi 17 août 2013

Feuilleton en ligne épisode 8, dernier de la série


Ce que cache un immeuble si discret




Bon, depuis le temps que je vous le promets… on arrive à la fin. Dernier épisode et basta !

Je vous rappelle les faits. A la cave (aux Puces) de cet immeuble si discret du 26 de la rue G., il y a un macchabbée. La dépouille refroidie de feu un agent du KGB ?? Dixit le fils Pallu qui lui a scié les pieds. Il s’est vite rendu compte qu’un corps entier à scier ce n’est pas un mince boulot. Je l’ai surpris, j'ai crié au loup et maintenant tout l’immeuble est au courant.
Ma mère,une femme de caractère née en 1917, a décidé de prendre les choses en main en convoquant une assemblée générale extraordinaire chez nous.



A 20 heures, on m’envoya frapper à toutes les portes afin de rameuter la meute, quel style exécrable! Le mystère est grand concernant l’ouverture de la porte du Sourd et de la Muette au moment où j'ai toqué. Par quel instinct avaient-ils deviné que j’avais frappé.

Le décor, notre salon salle à manger façon année 50. Une télé noir et blanc sur un meuble idoine et bois brillant verni. Des chaises (dépareillées), deux fauteuils Voltaire, (ma mère aimait les philosophes, ce qui n'empêchait pas qu'elle posât son cul dessus), un canapé lit assez inconfortable en velours bordeaux. La table en chêne massif repoussée aux confins de la pièce pour laisser assez de places aux invités. Vous vous en foutez. Bien. Bref. Revenons à la réunion

Ma mère, une organisatrice née, désigna l’ordre de prise de paroles. Logique de bas en haut. La famille  Pallu réduite au père et au fils expliqua les faits à son avantage. « On leur en voulait, les russes avaient mandaté le KGB pour les faire taire …C’était de la légitime défense. » Tohu-bohu général. Les plus pleutres ne voulaient pas avoir d’ennui. Il fallait que l’espion froid venu d’ailleurs disparaisse (notez, j’ai évité la répétition…) Point barre comme on ne disait pas à l’époque. Finalement les russes n’étant pas en odeur de Sainteté dans l’immeuble personne ne pleura davantage sur le cadavre d’un serviteur de Staline et des siens.


La question centrale –pratique- était comment s’en débarrasser. Et c’est là que le génie maternel intervint. Se tournant vers mon père, elle lui dit :
— Victor la solution t’appartient. La mort est un peu ton métier…
— Tu vas un peu vite ma douce… moi je sculpte juste des pierres tombales et les jolies lettres dorées qui vont dessus…

Monsieur Henri vint en soutien :
— Victor, vous connaissez surement des employés au cimétière…
Mon père a longuement réfléchit avant de répondre.
— Oui.
Tout le monde retenait son souffle. Mon père gardait le silence. La tension devenait intolérable. Ma mère a dit avec sa simplicité biblique et légendaire.
— Eh bien il suffit de glisser notre cadavre…
Le pronom possessif « notre » entraîna quelques protestations de la part des Collabos et de Monsieur D., « le cocu du premier » , que ma mère fit taire d’un ton péremptoire.
— Laissez parler …

Mon père se taisait toujours, on sentait que ça carburait sous son crâne. Ses yeux étaient fixés sur un point invisible à l’horizon deux mètres devant lui. Le silence étant propice à la réflexion au bout d’un temps qui me parut infini, il fini par dire :
— On a qu’à organiser un simulacre d’obsèques !
Le silence se fit plus grave.
— Oui mais qui on va enterrer ?
— Y a-t-il un volontaire ? demanda sans rire monsieur B.

Ma mère vient à la rescousse.
— On pourrait enterrer la mère du Sourd !!

Le sourd qui avait lu sur ses lèvres expliqua par gestes que sa mère était déjà morte !


— Justement dit ma mère, le tour est déjà joué. Et comme monsieur et madame M.


ne peuvent ni entendre ni parler ça évitera les questions chez les commerçants et au cimétière le jour de l’enterrement… Seulement nous voulons être certain que personne à aucun moment ne dénoncera les autres pour cela, (coup d’œil sévère aux Collabos) il est nécessaire que tout le monde participe à la … mise  en bière.


Elle alla sortir du tiroir de la commode une vieille bible sur lequel tout le monde jura sans cracher. 


On bu un coup de mousseaux pour sceller le pacte de la nouvelle Alliance entre les habitants du 26 de la rue G.

Le lendemain, de lourdes tentures noires furent accrochées à la porte du 26. Avec les initiales D.M. qui étaient celles de feu la mère du Sourd.

Dans le quartier l’étonnement était à son comble. Personne ne savait que la famille des Sourds-Muets hébergeait la vieille dame. Ils n’achetaient jamais de viande pour trois, ni de pain… Elle devait être crévée de faim, la pauvre femme. Ces handicapés étaient peut-être des tortionnaires… Aucun médecin n’était passé… Les suppositions allaient bon train, mais comme ma mère l’avait prédit, les interessés ne répondirent à aucune question du voisinage trop curieux.





Pendant ce temps-là mon père avait trouvé un complice idéal, Marius le fossoyeur, un sacré pochard venu de Marseille. Ce type inventait tellement de cracs que personne ne prenait ce qu’il racontait au sérieux. Chacun de dire : «Où  il va chercher tout ça, ce c.. ! ».

Marius avait creusé la fosse de Mademoiselle Bernadette R. morte d’une mauvaise grippe. L’enterrement était prévu pour le surlendemain. La Bernadette n’avait pas de famille. Il suffisait d’utiliser le même cercueil et personne n’y verrait que du feu (l’espion du KGB). Vous suivez ??


Mon tonton Marcel qui était menuisier en cercueil et associé de mon père passa à la morgue et embarqua la demoiselle dans une immense caisse pour la ramener à son domicile où on devait lui rendre les deniers hommages… 
                                           


Vous suivez toujours ?? Vous avez du mérite. C’était un dimanche.

La caisse arriva au 26 dans le fourgon de mon oncle. On la descendit à la cave en cortège car comme je l’ai signalé plus haut ma mère tennait à ce que chacun participât au cérémonial.
Ce ne fut pas une mince affaire. 
Escalier étroit, chicane…


Le cercueil coinça au premier tourant. Il fallu rebrousser chemin… Le fils Pallu dévissa les boulons et extirpa Bernadette de la caisse en chêne. 



Il monta la pauvrette provisoirement chez les D. où Madame D. parfumée le guida jusqu’à sa chambre… Ce qu’ils y firent  tous les trois ? Mystère.



Mon père déclara qu’il serait plus simple de remonter l’espion et de le placer au fond du cercueil, ensuite on remettrait Bernadette par dessus et voilà. Il fit le geste de se frotter les mains l’une sur l’autre.

L’espion même sans ses pieds était aussi lourd qu’un âne mort. Ces types de l’Est étaient des gaillards ! Avec tout le blé produit en Ukraine durant les plans quinquénaux successifs, on les nourissait bien. Il fallu que les Collabos et les B. se le coltinent. 


Madame Henri exceptionnellement descendue avec une canne et des lunettes noires faisait le guet près des tentures sur le trottoir (notez que je n’ai pas écrit qu’elle faisait le trottoir). 


Ce qui ne manqua pas d’attirer l’attention de la laitière en face qui ne l’avait pas vue dehors depuis lurette. Je ne sais pas si au niveau discrétion c’était une bonne idée.

Mon père donna un coup de main aux autres pour franchir le troisième étage et voilà le Ruskoff chez les M., sa desination finale. Disons provisoire. On le coucha sur le dallage de la cuisine. Il n’avait pas bonne mine. Forcément, son séjour aux Puces lui avait un peu gâché le teint.
Comme il était nu, j’en ai profité pour me perferctionner en anatomie masculine. Ce n’était guère appétissant encore moins suggestif. Je me suis dit que c’était sûrement du à la rétraction post-mortem parce que franchement, là, il n’y avait pas de quoi pousser des gémissements devant l’organe.

Ma mère rouccoulait avec Monsieur Henri en remontant le cercueil qu’ils avaient réussi à décoincer de la cave. Ils firent des pauses à chaque palier. Monsieur Henri, charmeur, complimentait ma mère sur sa force physique. Elle disait en minaudant, « Mais non, voyons, je ne suis qu’une faible femme, tâtez donc mes… »,  à ma vue ma mère est devenue muette comme une carpe.

Finalement, je ne sais pas si Monsieur Henri tâta. Ils ont continué à monter. Et le cercueil fit son entrée chez les M. On l’installa sur des trétaux habillés de rideaux noirs. Monsieur D. remonta sur son dos la Bernadette qui ne pesait pas plus qu’une mouche morte. Il avait l’air fâché. J’ai pensé que c’était rapport au fils Pallu et à madame D. dans la chambre.

On referma la porte du Sourd qui venait de perdre sa mère. 

Et là commença l’art du maquillage. On retira du cercueil le beau rembourrage mauve, pour coucher à même le bois le corps nu de l’espion. Il puait comme un rosbif pas frais. On remis le rembourrage. L’odeur s’en trouva dissimulée. Il fallu un peu tasser. Puis on plaça Bernadette par-dessus. Les mains jointes les pieds bien alignés.

Les pieds… On les avait laissés aux Puces, les pieds ! Je suis descendue avec le fils Pallu et un grand sac. Putain, où qu’ils étaient les pieds. On voyait rien sans lampe dans ces caves. On en a un peu profité pour tâtonner l’un l’autre, sachant que ce qu’on avait dans la main n’était pas un pied. 

Finalement, il a craqué une allumette et miracle les pieds étaient là sur le tas de charbon. On en a pris un chacun, (d’où l’expression prendre son pied) et vite au fond du sac. Ensuite je me suis faite grande et j’ai tendu mes lèvres au fils Pallu qui m’a gentiment roulé un patin. 

On ne sentait même plus l’odeur des pieds. Quelle merveilleuse aventure que la mort des autres.

Les pieds ont été disposé au bout de Bernadette, sa longue jupe recouvrant la jonction.

Les visites de courtoisie ont pu commencer. Tout le quartier a défilé devant la vieille Bernadette que nous avons présentée comme feu la mère du Sourd. 
La Muette sanglotait en silence dans un coin. L’illusion était parfaite. 
La taille des pieds étonnait un peu le bon populo, mais ma mère docte disait que souvent les femmes avaient des appendices forts longs, et de citer la reine Berthe… ça noyait le poisson, vous voyez.

Le lundi les types des Pompes Funèbres en ont bavé pour descendre le cercueil doublement occupé. Vingt dieux qu’elle est lourde la garce ! Mon père leur a payé un coup chez Gros Louis. Le vin qu’il avait par son beauf Totor les a remis d’aplomb. C’était du bon.

Ce fut un bel enterrement.
Personne n’a regretté l’espion du KGB qui en fait n’en était pas un.

Un article dans le journal a mentionné quelque jours plus tard la disparition d’un inspecteur de l’anti-gang dont le signalement correspondait à peu de chose près à celui du mort des Puces. Mais bon… on n’allait pas chercher la petite bête. On a utilisé le journal pour allumer le gros Godin.

Tout le monde a gardé le secret. Au plus profond de ses entrailles. La vie a repris. Le fils Pallu est parti en Algérie. Il a été tué dans les Aurès. Gino s’est marié. Mes parents ont déménagé. Je suis partie faire mes études ailleurs. Les autres, je ne sais pas ce qu'ils sont devenus. J’ai gardé le contact avec Agnès et Brigitte. Brigitte est grand-mère depuis l’année dernière. Agnès est morte d’un cancer du sein à l’âge de quarante ans. Et maintenant, cinquante ans après je fais visiter des mas en ruines pleins de potentiel à des acheteurs en mal d’authentique et d’histoires. Faut bien gagner sa croûte en période de crise.

Alors quand ce client a évoqué les mystères des sous-sols mes souvenirs ont refait surface.
Je les ai exhumés pour ainsi dire.

Bon vent, bonne fin d’été amis lecteurs. A la rentrée pour peut-être un nouveau feuilleton en ligne...



FIN 

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