Les
sirènes de Bagdad de Yasmina Khadra
Edition Julliard (2006)
Résumé : Le roman débute à Beyrouth, et on
comprend d’emblée que l’auteur commence par la fin. Le personnage central, un
jeune Bédouin, va nous entraîner dans les tréfonds de sa mémoire vers son
enfance dans son village de Kafr Karam, aux confins du désert irakien. Il nous
présente les habitants, sa jumelle Bahia, son cousin Kadem, et bien d’autres. Les jeunes du village s’ennuient d’attendre en regardant à la télévision les
grandes villes irakiennes prendre feu sous les bombes des Américains et des
terroristes. Ils parlent, ils glapissent mais rien ne se passe jusqu’au jour où le conflit les rattrappe avec des bavures tragiques. Et cet adolescent est témoin de ce qu’un fils ne devrait jamais voir… il reçoit en pleine face une
humiliation si grande à ses yeux d’enfant respectueux de la tradition ancestrale
que seul le sang pourra laver cette souillure. Et c’est alors que sa vie de
gentil garçon sans violence bascule.
Extrait : Pourquoi crois-tu qu’ils sont là les américains ? Par charité chrétienne ? Ce sont des hommes d’affaires, ils nous négocient contre des marchés. Hier, c’était nourriture contre pétrole. Aujourd’hui c’est pétrole contre Saddam. Et nous dans tout ça ? De la monnaie de singe. Si les américains avaient un gramme de bonté, ils ne traiteraient pas leurs Noirs et leurs Latinos en troglodytes. Au lieu de traverser les âges et les océans pour prêter main-forte à de pauvres bougnoules émasculés, ils feraient mieux de balayer devant leur porte et de s’occuper de leurs Indiens qui se décomposent dans des réserves, à l’abri des curiosités, semblables à des maladies honteuses.
Mon avis : Cette histoire écrite à la première personne du
singulier plonge le lecteur dans l’action, il le place dans la position même du
narrateur et ne lui laisse pas le choix d’être pour ou contre : il est, il voit, il subit, il agit avec le narrateur. Cette position
est inconfortable car le lecteur épouse les contradictions du personnage, juge du contexte par ses yeux, et avec lui, s'avance vers l'abîme jusqu’au dénouement.
La
force de ce roman et de l’auteur est de tromper son lecteur en étant tellement
persuasif, lorsqu’il expose les arguments et motivations des différents protagonistes,
qu’on pourrait le croire manichéen. Or c’est l'inverse. Avec subtilité,
Khadra ne donne aucune réponse, mais donne à voir et à comprendre. La langue de
Yasmina Khadra (qui écrit en français) est celle du conte, pleine des images de
la tradition orale arabe. Le sujet est grave et l’auteur nous amène à réfléchir à
l’absurdité du monde. Aux factions incontrôlables (pas seulement djihadistes) qui
utilisent les fêlures, les fureurs, manipulent la révolte, exacerbent les
passions jusqu’à réussir à transformer un agneau en loup.
Ce
livre est le dernier volet de la trilogie que cet écrivain algérien consacre à
la violence qui oppose de grands pans de l'Orient à l'Occident. Ce roman
s'attache à démonter le mécanisme qui transforme un jeune homme ordinaire en machine
à tuer, en terroriste, en kamikaze.
Une réflexion amorcée dans L'attentat, (dont j'avais chroniqué l'adaptation théâtrale) un roman d'actualité brûlante, une réflexion sur la fragilité
de notre humanité.
A mon avis la trilogie est à lire dans son intégralité pour avoir toute la dimension de l'oeuvre.
Biographie : Sous cette identité féminine se cache un homme. Dans son roman L'écrivain,
paru en 2001, le mystère est entièrement dissipé. Yasmina Khadra s'appelle de
son vrai nom Mohamed Moulessehoul, qui a déjà publié sous ce nom nouvelles et
romans en Algérie. Officier dans l'armée algérienne, il a participé à la guerre
contre le terrorisme. Il a quitté l'institution en 2000, avec le grade de
commandant, pour se consacrer à sa vocation: écrire. Il choisit de le faire en français. Morituri
le révèle au grand public. Aujourd'hui écrivain internationalement connu,
Yasmina Khadra est traduit en 33 langues.
Site de Yasmina Khadra pour en savoir plus sur l'auteur.
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