La maison des
Anges de Pascal Bruckner
Editions Grasset (2013)
Résumé : Antonin
jeune homme bien sous tous rapports, élevé à la va comme j’te pousse par un
couple improbable de post soixante-huitard, travaille pour une agence
immmobilière de luxe. Bien mis, cultivé, il a des atouts pour réussir. Mais
derrière cette façade en trompe-l’œil se dissumule un être complexe aux
multiples TOC, maniaque de l’hygiène corporelle, traquant le moindre grain de
poussière jusqu’à l’obsession, rangeant méticuleusement son appartement où la
présence de sa maitresse Monika et de son clébard lui devient vite intolérable.
Un jour, dans la
Plaine Monceau, il rate une vente parce que deux
ivrognes ont élu domicile sur un banc en face du porche bourgeois. Pris d’un
irrépressible dégoût envers cette déchéance humaine, il bat l'un deux à mort. Le
point de départ de son histoire est là. Il décide de purifier Paris en
éliminant ceux qui le défigurent. La suite est à lire sans préjugés.
Mon
Avis : La forme romanesque choisie par l’auteur - essayiste et philosophe - le libère des contraintes
formelles et des prises de position personnelles de l’essai. C’est un peu trop gros ? Oui. Très mal pensant ? Oui. Sujet à polémique ? Evidemment.
Dans une outrance célinienne son
personnage (croisement de Bardamu et des héros de Michel Houellebecq) laisse libre cours
à son délire pathologique : se débarrasser de la vermine. Antonin montre la
face inavouable des êtres (in)humains, la sienne et celles des chantres de
l’humanitaire qui aident avec componction sans s’attaquer au mal.
Donner
des tentes aux SDF ça paraît humain à première vue. Constat primaire : ils
seront mieux. OK. Interrogeons-nous sur l’humanité de faire du camping par -10°
le cul sur le bitume. L’humanité, la vraie, consisterait de les prendre chez soi, les loger dans sa chambre d'ami vide.
Mais qui ferait ça ? La pièce jetée sans un regard ou pire avec un sourire gêné, la vieille parka déposée en douce
sont les oboles faites à notre mauvaise bonne conscience (ou vice versa). En leur for intérieur, beaucoup de ceux qui gratifient d’un don les
pauvres bougres affalés sur un carton aimeraient que d’un coup de baguette
magique ils disparaissent de leur vue. Oui, dans ce roman, l’auteur donne des coups
de griffe à la bienfaisance hypocrite.
L’idée
que développe Pascal Bruckner dans ce polar sociétal ambigu, c’est que la
solution ne se trouve ni dans le nettoyage radical envisagé par Antonin, ni
dans les bonnes œuvres. La solution serait d'agir en amont, bien avant que les travailleurs pauvres soient à la rue, que les vieux ou les jeunes deviennent SDF, réduit à la misère dans un Paris d’aujourd’hui aussi effroyable que celui de Zola.
Voir
dans ce livre une croisade contre les gueux, les clochards
serait une erreur, une lecture au premier degré. Pascal Bruckner en philosophe appuie là où ça fait mal et il
est prêt pour cela à nous plonger dans la fange, à nous menez au bord de la nausée comme il l'a fait déjà dans
"Lune de fiel", "Parias" ou "L’Amour du
prochain". Il nous place face à nos contradictions et notre culpabilité comme dans son essai sur le Tiers-mondisme "les Sanglots de l'homme blanc". Sans référence à une quelconque morale, il nous fait accéder à la vérité complexe de l’individu, on constate dans ce livre qu'un déshérité n’a pas forcément que des qualités et que celui qui fait
le bien n’est pas forcément un gentil. Il montre qu’entre la violence extrême et le
désir de tuer, il n’y a qu’un petit pas mais ce pas peut devenir une frontière infranchissable quand il s’agit de passer à l’acte. Il
met en lumière l'ambivalence et l'hypocrisie de tous, des cyniques (Lève-toi et bosse) aux charitables (Alors les gars, on s’est lavé le bonhomme,
on s’est bien rincé ?), des intellectuels, aux bobos et aux humanitaires.
Dans les remerciements l’auteur raconte une
scène qui l’a marquée que je rapporte ici.
Ce roman a pour origine un incident qui s’est passé
dans ma jeunesse, place de la Contrescarpe, à Paris. Nous buvions un verre avc
quelques amis quand un clochard s’est approché, réclamant son obole. Il
insistait, tapait du poing sur la table ; l’un de nous s’est levé et l’a
poussé en le traitant de « valet du capital, traître à la classe ouvrière ».
L’homme, aviné, est tombé d’un coup sans comprendre… Deux choses me sont
restées de cet épisode : la fragilité du quémandeur qui s’est effondré
comme un fétu de paille, l’argument ébouriffant utilisé par son agresseur,
celui d’être un complice de la bourgeoisie. Avec le clochard, la compassion
n’est jamais loin de la violence, la charité de la haine. On ne pardonne pas à
celui qui s’abaisse de vous abaisser en même temps, de vous tirer vers la
fange. Dans sa perdition, il suscite en nous une sorte d’horreur sacrée
puisqu’une mince frontière sépare la vie courante de l’abjection. Il incarne la
fascination du gouffre
On aime ou on déteste.
Biographie : Issu d'une famille protestante, P. B a vécu en suisse, et en Autriche. Après des études au Lycée
Henri IV à Paris, à l’université de Paris I et de Paris VII, et à l’Ecole
pratique des hautes études, il devient professeur invité à
l'Université d'Etat de San Diego en Californie et à la New York University de
1986 à 1995. Maître de conférence à l'Institut d'études politiques de Paris de
1990 à 1994, il collabore également au Monde et au Nouvel Observateur.
Romancier prolifique, on lui doit Lunes de fiel - adapté à l’écran
par Roman Polanski - Les Voleurs de beauté - prix Renaudot en 1997
- et plus récemment L’Amour du prochain (2005).
Pascal
Bruckner est aussi’auteur de livres jeunesse - Le Palais des claques (1986),
Au secours, le père Noël revient (2003) - ainsi que de plusieurs
essais, et notamment La Tentation de l'innocence - prix Médicis de
l'essai en 1995 - ou Misère de la prospérité, dans lequel il s'attaque à
cette prétention qu'a l'économie de vouloir régir le monde entier. Écrivain
engagé, Pascal Bruckner s’évertue à témoigner des réalités sociales. En 2009,
il revient sur le devant de la scène littéraire avec l’essai Le Paradoxe
amoureux.
Merci de donner votre avis sur des livres qui peuvent nous intéresser...
RépondreSupprimerEn ce qui me concerne, j'ai beaucoup aimé. Michel
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