un extrait de Réminiscences, petit monologue pour homme
Louise R. Caron
Voilà. Fini. Terminé. Le rideau vient de tomber. Eux devant, moi
derrière. Le dernier rideau de mon dernier spectacle. Les maigres
applaudissements de ces cons-là se sont dissous dans le brouhaha de la sortie
vers la salle des machines à sous. Le casino ouvre, Le cabaret ferme. La saison
est finie. Moi aussi. Je m’y étais préparé. Pourtant… ce vide, là (il montre sa poitrine). Je n’aurais pas
cru. Ça va ! Je vais m’en remettre. J’aurais le temps de pêcher à la
ligne. De rédiger mes mémoires de mon vivant. Les mémoires d’un acteur. Un bon
titre pour un acteur. Acteur si on veut. J’ai été acteur. Mais là, ce qu’on me
demandait… c’était pas croyable, j’étais… je sais même plus ce que j’étais, et
pourquoi je vous raconte ça à vous ? Parce que vous êtes là paumés comme
moi. En quête de compagnie pour éviter encore une heure ou deux d’aller dormir
seul dans un grand lit froid ? Si
ça vous distrait je ne vous interdis pas d’écouter ni même d’applaudir ! A
la fin je passe le chapeau ! Ce qu’il m’a fallu faire pour bouffer quand
même. Non quand j’y repense ! Faire valoir, le dernier des métiers. Et
pourtant, je le faisais bien parce que je suis consciencieux et que j’aime le
travail bien fait. Bâcler, ce n’est pas mon genre. C’est pour ça qu’on
m’embauchait. Tous ces numéros minables je les magnifiais par mon talent. Parce
que les autres pour le talent, ils avaient été oublié à la distribution ! Tiens !
Prenez Gloria la voyante extra-lucide. Comment pensez-vous qu’elle devinait la
couleur des chaussettes du monsieur du 3éme rang ? Grâce à moi bien sûr, sans
moi la voyante, elle était myope. Vu son âge, vous avez raison elle était aussi
presbyte. Comment je lui soufflais ? Chut ! Je ne vous dirai rien. J’ai
pour principe de ne jamais dévoiler les trucs. Je triche mais je respecte le
métier.
Ah le métier si
vous saviez ! Moi j’ai tout fait parce que je sais tout faire. J’ai été
balayeur…non pas comme on dit balayeur dans le rue… dans un spectacle. Une
pièce moderne – je dis contemporaine - c’est plus chic. Une belle affiche… Un
auteur connu, un metteur en scène connu, des acteurs connus et un balayeur
inconnu. Moi. Je passais et repassais le balai pendant que Belmontruc gloussait
des trémolos dans la voix, les pouces glissés dans son gilet comme il fait tout
le temps. Je le regardais Belmontruc… Son jeu… Mécanique… Répétitif. Tandis que
moi, chaque soir j’inventais une nouvelle façon de balayer. J’avais un rôle
sans texte, un rôle muet comme on dit, et bien, quand j’étais en forme certains
soirs, je passais devant lui avec mon balai, je guettais une respiration entre
deux répliques et hop je lui disais : « Pardon, mon cher », en
glissant mon balai entre ses grandes guibolles… Il répondait pas bien sûr, pas
assez d’esprit ou trop fier. Tu parles toi, la grande famille du théâtre !
Là comme ailleurs, il y a des castes, les grands, attention, je mets des guillemets
à grands, disons ceux dont le nom clignotent en ampoules rouges sur la façade
du théâtre. Ceux que les blaireaux applaudissent dès qu’ils rentrent en scène.
Oui, ceux-là leurs loges on dirait des palaces, et nous les comédiens du bas de
l’affiche on se partage un trou à rat infesté de cafards. Va, va. Je sais de
quoi je parle. Quarante-trois ans de scène. Alors, on ne me la fait plus...
Bien sûr ce n’est pas juste, vous avez raison, c’est peu de le dire… Réfléchissez
un brin. Quelle différence y-a-t-il entre Belmontruc et moi ? Vous voyez
pas ? Y’en a aucune, il pisse debout comme moi. Le long des arbres. Alors ?
Qu’on m’explique pourquoi des mémères emperlousées l’attendent sur le trottoir
pour lui faire signer un autographe et gratter son échantillon de chien ! Moi, notez bien, j’m en fous des mémères,
je préfère les jeunettes, encore aujourd’hui, mais c’est pour dire.
Si vous êtes intéressés par la suite me contacter.
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