La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



vendredi 24 mai 2013

Avant-goût


un extrait de Réminiscences, petit monologue pour homme


Louise R. Caron




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Voilà. Fini. Terminé. Le rideau vient de tomber. Eux devant, moi derrière. Le dernier rideau de mon dernier spectacle. Les maigres applaudissements de ces cons-là se sont dissous dans le brouhaha de la sortie vers la salle des machines à sous. Le casino ouvre, Le cabaret ferme. La saison est finie. Moi aussi. Je m’y étais préparé. Pourtant… ce vide, là (il montre sa poitrine). Je n’aurais pas cru. Ça va ! Je vais m’en remettre. J’aurais le temps de pêcher à la ligne. De rédiger mes mémoires de mon vivant. Les mémoires d’un acteur. Un bon titre pour un acteur. Acteur si on veut. J’ai été acteur. Mais là, ce qu’on me demandait… c’était pas croyable, j’étais… je sais même plus ce que j’étais, et pourquoi je vous raconte ça à vous ? Parce que vous êtes là paumés comme moi. En quête de compagnie pour éviter encore une heure ou deux d’aller dormir seul dans un grand lit froid ?  Si ça vous distrait je ne vous interdis pas d’écouter ni même d’applaudir ! A la fin je passe le chapeau ! Ce qu’il m’a fallu faire pour bouffer quand même. Non quand j’y repense ! Faire valoir, le dernier des métiers. Et pourtant, je le faisais bien parce que je suis consciencieux et que j’aime le travail bien fait. Bâcler, ce n’est pas mon genre. C’est pour ça qu’on m’embauchait. Tous ces numéros minables je les magnifiais par mon talent. Parce que les autres pour le talent, ils avaient été oublié à la distribution ! Tiens ! Prenez Gloria la voyante extra-lucide. Comment pensez-vous qu’elle devinait la couleur des chaussettes du monsieur du 3éme rang ? Grâce à moi bien sûr, sans moi la voyante, elle était myope. Vu son âge, vous avez raison elle était aussi presbyte. Comment je lui soufflais ? Chut ! Je ne vous dirai rien. J’ai pour principe de ne jamais dévoiler les trucs. Je triche mais je respecte le métier.
            Ah le métier si vous saviez ! Moi j’ai tout fait parce que je sais tout faire. J’ai été balayeur…non pas comme on dit balayeur dans le rue… dans un spectacle. Une pièce moderne – je dis contemporaine - c’est plus chic. Une belle affiche… Un auteur connu, un metteur en scène connu, des acteurs connus et un balayeur inconnu. Moi. Je passais et repassais le balai pendant que Belmontruc gloussait des trémolos dans la voix, les pouces glissés dans son gilet comme il fait tout le temps. Je le regardais Belmontruc… Son jeu… Mécanique… Répétitif. Tandis que moi, chaque soir j’inventais une nouvelle façon de balayer. J’avais un rôle sans texte, un rôle muet comme on dit, et bien, quand j’étais en forme certains soirs, je passais devant lui avec mon balai, je guettais une respiration entre deux répliques et hop je lui disais : « Pardon, mon cher », en glissant mon balai entre ses grandes guibolles… Il répondait pas bien sûr, pas assez d’esprit ou trop fier. Tu parles toi, la grande famille du théâtre ! Là comme ailleurs, il y a des castes, les grands, attention, je mets des guillemets à grands, disons ceux dont le nom clignotent en ampoules rouges sur la façade du théâtre. Ceux que les blaireaux applaudissent dès qu’ils rentrent en scène. Oui, ceux-là leurs loges on dirait des palaces, et nous les comédiens du bas de l’affiche on se partage un trou à rat infesté de cafards. Va, va. Je sais de quoi je parle. Quarante-trois ans de scène. Alors, on ne me la fait plus... Bien sûr ce n’est pas juste, vous avez raison, c’est peu de le dire… Réfléchissez un brin. Quelle différence y-a-t-il entre Belmontruc et moi ? Vous voyez pas ? Y’en a aucune, il pisse debout comme moi. Le long des arbres. Alors ? Qu’on m’explique pourquoi des mémères emperlousées l’attendent sur le trottoir pour lui faire signer un autographe et gratter son échantillon de chien ! Moi, notez bien, j’m en fous des mémères, je préfère les jeunettes, encore aujourd’hui, mais c’est pour dire. 

Si vous êtes intéressés par la suite me contacter.

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