La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



mardi 5 février 2013

Ecrire de fil en aiguille… SE DEPARTIR

"C’est quoi le mot pour les gens qui inventent des histoires pour vivre ? » Il avait répondu : « Ça dépend. S’ils ont un éditeur, on dit romancier, sinon on dit mythomane. "

Léa dans Se Départir, L. Caron.




Synopsis du roman
Printemps 2009. Vingt-deux ans qu’Eléonore avait quitté Paris. Un trait tiré sur son passé. Une rature. Là, dans cet hôpital parisien, devant le corps d’Antoine, relié au monitoring, elle reste muette, certaine d’avoir eu tort de quitter son mas cévenol. Il ne manquait plus qu’une grève des cheminots pour éprouver davantage le temps dans un Paris inhumain qu’elle ne reconnaît pas. Par bouffées successives, sa douleur remonte. Evocation de sa vie d’avant avec Antoine, avec Léa, et surtout avec son fils disparu. Après l’accident de Guilhem, sa vie a basculé. Elle s’est murée dans une souffrance destructrice. Léa en a fait les frais. Léa, une femme-enfant, une écorchée vive qui s’interroge sur sa famille, sur l’amour, la vie… Elle nous entraîne de l’autre côté du miroir. Dans ce récit à deux voix, la réalité est plus étrange qu’il n’y paraît.


L’auteur mène tout au long du livre une réflexion sur le ressentiment poussé à  son comble. L'entêtement qui occulte la vérité. Le choix délibéré de ne jamais pardonner, de choisir la perte plutôt que le salut.
Peut-on haïr en proportion de ce qu'on a aimé, qu’il s’agisse de l’amour dans un couple ou de l’amour fraternel. Aussi, un regard sur la filiation : d’où je viens ? Je suis l’enfant de qui ? Une interrogation sur l’intolérance d’un père face à la découverte  de l’homosexualité de son fils. Des questions qui sont à la pointe de l’actualité.
Les versions complémentaires de la mère et de la fille sur l’enfance, le passé, la perte du fils, du frère, l’amour et la haine. L’une comme l’autre révèlent leur zones d’ombres, dans une histoire qui réserve des surprises jusqu’à la dernière ligne.
Un livre profond écrit sans fioritures sans pathos, dans un style économe et efficace. Emouvant, mordant, sans concession.



ET PLUS

Partager les itinéraires des deux personnages principaux et situer sur des cartes les lieux et la trame de l'histoire.

1- Les lieux d'Eléonore à Paris

" Que fait-on dans la rue le plus souvent ? On rêve. C'est un des lieux les plus méditatifs de notre époque, c'est notre sanctuaire moderne, la rue."
Louis Ferdinand Céline, extrait de Sommelweiss


Au début, pour que l'histoire s'élabore, j'avais besoin de trouver les lieux de l'action. Trois lieux principaux se sont imposés, Paris, les Cévennes et l'ile de Bréhat. 

1- PARIS

Il est vite devenu évident que le personnage d'Eléonore devait se retrouver à Paris. Comme moi, elle y avait ses souvenirs, elle pouvait errer dans des endroits connus et être confrontée au changement radical que la capitale connait depuis quelques années. Misère, chômage, circulation, agressivité...
Le choc était inévitable. Débarquer des Cévennes et retrouver cette ville après 20 ans d'absence dans le contexte d'une grève des trains. Une gare ça excite l'imagination, ça évoque le voyage… La grève l'oblige à rester dans la capitale. N'ayant rien à y faire, l'errance s'installe, elle laisse ses pensées vagabonder. Le passé revient l'envahir.
Sur les plans que j'ai préparés, vous pourrez suivre le cheminement d'Eléonore dans les quartiers de Paris.




Afficher Les lieux du roman "Se Départir": ELEONORE sur une carte plus grande 


Cliquez sur les repères bleus, une fenêtre s'ouvre avec des renseignements et des phrases du roman. 



2- LES CEVENNES


Afficher Se départir les lieux d'Eléonore dans les Cévennes sur une carte plus grande

Eléonore habite un mas de pierre au Sud des Cévennes. Le lieu précis n'est pas nommé dans le roman. C'est un lieu composite quelque part entre Anduze et Vallée Française. Un endroit isolé où elle est venue se réfugier pour essayer de vivre après la mort de son fils Guilhem.

On trouve dans cette région une population héritière des Camisards et des maquisards, restée fière et jalouse de sa solitude et de ses secrets. Les descendants de générations de résistants n'ont bien sûr pas accepté sans lutter la "main-mise" de l'Etat sur leurs Cévennes au travers de la  réaction d'un parc national en 1970. Les menaces de voir se réduire des libertés coutumières ont fait se lever une farouche opposition pourtant troublée par les affres de la désertification. La plupart des communes ont perdu cinq sixièmes de leur population entre 1920 et 1970.

Sous le climat rude de la montagne cévenole, une population s'est toujours accrochée. Une population dure à la peine, poussant les troupeaux sur les drailles, entretenant des terrasses et cultivant le châtaignier ou le mûrier, ou encore extrayant le charbon dans les galeries de mines. C'est dans ce contexte qu'Eléonore s'est installée. Elle aurait pu ne jamais être acceptée. Cependant, dans les Cévennes, les gens peuvent être chaleureux; ses plus proches voisins l'ont acceptée et les autres ont suivi. 

C'était pour moi, l'occasion de parler de cette terre sur laquelle je vis à présent. D'en montrer la beauté singulière et la dureté apparente. 

Pour Eléonore qui est médiéviste, l'histoire de la région est un attrait de plus. Elle a acheté le Mas des Pendus, on lui a laissé entendre que ces pendus là étaient des huguenots.

Les cévennes sont des lieux de mémoire du combat protestant contre les troupes de Louis XIV. A la suite de la révocation de l'Edit de Nantes octroyé un siècle plus tôt par Henri IV, la Cévenne s'embrase et de très durs combats ont lieu d'Aigues-Mortes au Mont-Lozère. 

Ariens, vaudois, cathares, huguenots, jamais jusqu'à ce jour le Languedoc n'a accepté le penser unique. Un parcours farouche dans un pays à jamais rebelle. Le Languedoc n'a pas attendu le XVI- siècle ni Calvin pour basculer dans l'opposition à l'orthodoxie et plus encore à la « Francité » nordique. Déjà sa « capacité d'hérésie » s'était manifestée dès les premiers siècles après Jésus-Christ lorsque les Wisigoths arianisent la moitié sud de la Gaule romaine. Meyrueis, par exemple, se trouve sous la domination d'un comte wisigoth au début du Vème siècle.

Cette mainmise arienne (doctrine très dichotomique qui veut un Dieu à jamais divin et un christ totalement humain), bousculée à plusieurs reprises par les Francs de Clovis va néanmoins se maintenir en Languedoc dans l'ancienne Septimanie romaine dont MeyrueisFlorac (Chemin Stevenson GR70) et la Vallée Borgne, au moins jusqu'à l'arrivée des Sarrasins qui envahissent la région vers les années 720 et s'y maintiennent pendant quatre-vingts ans jusqu'à Pépin le Bref et Charlemagne. 

La reconquête spirituelle des Cévennes par le catholicisme s'est faite au travers des monastères bénédictins, implantés rationnellement aux IX et X" siècles (cf Saint-Guilhem, Aniane, Nant...). Mais cette implantation, cette occupation du terrain quasi conquérante, est ressentie par les populations languedociennes comme une occupation étrangère, germanique et barbare. Le Languedoc indépendantiste renâcle…

Deux nouvelles hérésies vont se partager les faveurs de l'irrédentisme régional: le valdéisme (parti de Lyon et qui se répand en Vivarais, en Cévennes et dans toute la Provence) et, bien entendu, le catharisme, davantage centré sur l'axe Carcassonne, Albi, Toulouse.

Cette nouvelle hérésie apparue au milieu du XVI siècle en Languedoc, va se répandre comme une traînée de poudre à travers toute la Cévenne et le Bas et Haut Languedoc. Le parti huguenot très vite se trouve des seigneurs, des armées, des villes fortes, bastions extorqués ou concédés par le pouvoir au gré des traités signés pendant tout le XVI" siècle. Les tueries s'organisent de part et d'autre. Le Gévaudan, ainsi, est mis en coupe réglée par le capitaine Merle qui (en toute simplicité) détruit pierre par pierre la cathédrale de Mende, la ville de la Canourguet andis que le parti catholique met à sac Marvejols et massacre les protestants comme à Vassy en 1562 ou à la Saint Barthélémy (1572).

Le Languedoc, déjà très éprouvé par la guerre de Cent Ans et la Grande Peste, épuise ses dernières réserves dans ces luttes fratricides à forte connotation politique et sociale.
Bien que l'Édit de Nantes de Henri IV (1598) calme le jeu provisoirement, les méfiances persistent et l'utilisation politique des antagonismes religieux reste fréquente. Le démantèlement des places fortes protestantes sera l'œuvre de Richelieu (siège de la Rochelle puis traité d'Alès en 1630). Meyrueis, elle-même, subira l'ire de l'armée catholique et royale en voyant son château (du Rocher) rasé et les tours des châteaux de Roquedols et d'Ayres décapitées en guise d'humiliation.
Ainsi à la fin du règne de Louis XIII le protestantisme se retrouve sans point d'appui autre que sa conviction intérieure et sa liberté de pratique. L'Édit de Nantes est déjà passablement rogné.
La persécution du protestantisme en France trouve son répondant en Angleterre où les catholiques minoritaires (ainsi que les Irlandais) sont pourchassés. Charles 1er d'Angleterre est décapité en 1649 par Cromwell et ses troupes de presbytériens... La leçon sera reçue en France. Louis XIV, n'entendant pas subir le même sort, va mettre en place tout un système de contraintes en vue de réduire (voire d'éradiquer) cette Religion Prétendument Réformée (interdiction d'exercer certains métiers, de prendre des apprentis, de célébrer le culte en dehors de lieux fermés, d'enterrer les morts entre six heures du matin et sept heures du soir...).
Ainsi, dès les années 1660-1670, des bourgeois, des artisans commencent à émigrer vers le Palatinat, le Wurtemberg, la Savoie où ils retrouvent leurs frères vaudois. Le Languedoc se vide progressivement de sa force économique, souvent protestante. On a pu évaluer cette émigration à 300.000 personnes. En Cévennes et dans l'arrière-pays languedocien demeure surtout le protestantisme rural, farouche et pauvre, reclus dans ses vallées.
Vers les années 1680, les conversions forcées s'accélèrent, surtout dans les villes comme Nîmes et Montpellier. En campagne, les dragons du roi cantonnent dans les bourgs protestants, « missionnaires » musclés d'un catholicisme à tendance hégémonique.

C'est en 1685, sous l'influence de la marquise de Maintenon, que Louis XIV, décidant qu'il n'y avait plus lieu de permettre au protestantisme de s'exercer puisqu'il n'y avait plus de protestants, révoque l'Edit de Nantes et décide d'opérer la destruction de tous les temples puisqu'ils ne peuvent plus servir à rien !

Dans notre région, la conduite des opérations est confiée à l'Inspecteur des Missions en Cévennes, l'abbé du Chayla, chargé de convertir ou d'arrêter les récalcitrants, notamment « ceux qui empêchent d'aller à la messe », les « chanteurs de psaumes », les « pasteurs et séditieux ». Dure besogne ! souvent militaire ou policière. La charité chrétienne a bien du mal à y trouver sa place...
L'abbé du Chayla, maître d'œuvre de ce grand nettoyage, emprisonne et torture en tout bonne conscience dans son quartier général du Pont-de-Montvert pour obtenir ces fameuses « ultimes » conversions. Il est attaqué et tué en 1703 par Esprit Seguier, décidé à délivrer les prisonniers de l'abbé. C'est cette action qui va déclencher la guerre des Cévennes, dite Guerre des Camisards (de camisade : grande chemise blanche que portaient les révoltés pour se reconnaître entre eux).

Les trois principales armées camisardes se situent l'une sur le mont Aigoual avec son quartier général près de Vébron (à mi-chemin entre Meyrueis et Florac) avec comme chef Castanet; une autre dans les basses Cévennes avec comme chef Pierre Laporte, dit Rolland; la troisième autour de Nîmes avec Cavalier. Une quatrième bande tient le Mont Lozère avec Mazel, Couderc, Joany.

Cette guerre de partisans, de coups de main, déroute complètement l'intendant du Languedoc, Monsieur de Basville, ainsi que les chefs de l'armée royale dépêchée sur place: Broglie, Montrevel, enfin Villars après l'échec des deux précédents.
La résistance acharnée (voire les victoires) de ces paysans protestants rend fou l'encadrement de cette armée, notamment le tristement célèbre capitaine Poul, le baron de Saint Cosme (ancien huguenot converti) ou Julien, le vainqueur de Rolland à la bataille de Vagnas. N'oublions pas de citer également le brigadier Planque, « célèbre » pour avoir ravagé le pays de Valleraugues et la vallée Borgne.
Avant chacune des batailles, les Camisards, un genou en terre, chantent le psaume des batailles:

Que Dieu se montre seulement 
Et on verra soudainement
Abandonner la place
Et fuir devant sa face
Et fondre de toutes parts
Le camp des ennemis épars.
Dieu les fera tous enfuir
Ainsi qu'on voit s'évanouir
Un amas de fumée.
La force est consumée
Des ennemis devant Dieu
Comme la cire auprès du feu.

Les combats sont souvent indécis mais les révoltés la plupart du temps insaisissables.

Basville va tracer à travers la Cévenne deux grandes « pénétrantes » pour pouvoir faire circuler ses troupes; notamment la route de la Corniche des Cévennes, surplombant les vallées pour éviter les embuscades constantes. Egalement près de Vébron, la route de la Cardinale...
Dans l'impossibilité de juguler la rébellion, Basville va organiser le «Grand Breulement des Cévennes» afin que les camisards ne puissent plus se nourrir ou se reposer. On regroupe les villageois dans quelques gros bourgs fortifiés et on démolit ou brûle tous les hameaux, villages, mazets qui parsèment les vallées. Toute une région va être ravagée, détruite en vue de venir à bout de deux ou trois mille révoltés ! Les emprisonnements, les condamnations aux galères, les tortures, exécutions sauvages se succèdent jusqu'en 1704, où le maréchal de Villars réussit enfin à traiter avec le plus puissant des chefs camisards, Cavalier, moyennant la libération de tous les condamnés, la possibilité de pratiquer sa religion au moins chez soi et des exonérations fiscales pour ceux qui ont eu leur maison détruite.

Mais la révolte, si elle faiblit, ne cesse pas car d'autres « généraux » camisards, tel Rolland, veulent mourir les armes à la main, ne croyant pas aux promesses d'un pouvoir aussi cruel. C'est d'ailleurs ce qui se passe. Peu à peu, les groupes se réduisent, les chefs meurent ou sont capturés, les promesses de libération n'étant pas respectées du fait que la reddition totale n'a pas été obtenue...
Les persécutions endémiques se poursuivront jusqu'au milieu du XVIII" siècle. Mais il faudra attendre Louis XVI qui, en 1787, signe un Edit de Tolérance rendant aux protestants un état-civil, la possibilité de se marier en dehors de l'Eglise officielle et, bien sûr, la liberté de culte...


3-LEA ET L'ILE DE BREHAT

"Une île est par définition fragile, nomade. Tout le monde a peur qu'elle se dissolve à un moment donnée ou parte à la dérive"
Erik Orsenna.

J'aime les îles, elles sont un monde en abrégé. Elles concentrent les passions, exacerbent les sentiments. Bréhat est une île à part. Fleurie de mimosa en février, verte et grise et bleue. Un îlot de rêves et de souvenirs. Eléonore fait souvent référence à sa jeunesse dans l'île, mais Bréhat c'est surtout Léa, Guilhem et Willy. L'endroit où le malheur advint.


Suivre Léa dans son parcours de l'île à partir des plans sur lesquels sont jalonnés les lieux et les phrases qui s'y rattachent.




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