La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



dimanche 13 janvier 2013

Ce que cache un immeuble si discret. Episode 4


Feuilleton en ligne. 

Résumé des 3 épisodes précédents: Reine, la narratrice, travaille pour une agence immobilière dans un coin paumé de la France profonde. En faisant visiter une ruine de style à un acheteur potentiel, voilà ledit acheteur qui dégoise sur caves des histoires à faire saillir les poils des bras. Ce sont d'après lui, des lieux pas recommandables et qui ne contiennent pas que de dives bouteilles… On y trouve du cadavre décomposé, voire du squelette racorni. Ceci rappelle à Reine une histoire de son enfance. Elle nous fait découvrir le 26 de la rue G. et ses pittoresques habitants. Les Palu, concierges polonais, le fils Palu, voyou séduisant, les commerçants typiques de cette époque. On est en 1956 au moment de la Guerre d'Algérie.
Au premier étage de son immeuble habitent les D., une famille tout ce qu'il y a de bien. Monsieur est assureur, coureur de jupons quand ça se présente, et Madame pas commode.  Faut dire qu'elle fut élevée dans un couvent. Elle est pourtant gironde Madame D. pas farouche avec le fils Palu qui la pelotte aux boîtes aux lettres. Ils hébergent la belle-mère, La folle qui déclame des tirades classiques dans le logement et qui a des trous de mémoire… Reine est obligée de l’aider. Faut dire que la pauvre vieille a mené une vie bien remplie du temps du Tonkin, des lupanars, des lanternes rouges. Elle a même eu sa propre maison de rendez-vous. Tout ça a pris fin avec l’occupation. 



Avançons, montons, montons… Taïaut, taïaut, taïaut, sus au deuxième étage, à l’assaut de la porte des L. C’est à droite. Un tapis brosse identique à celui des D. On les vend par lot de douze à la Samaritaine.
Les L. sont les locataires de madame B. une commerçante de la rue G.. Elle est riche comme Crésus, la mère B rapport au marché noir. Pas du cochon dans une valise... ça c’étaient des amateurs filmés par Autant-Lara, du gagne-petit, de la misère alimentaire. Non, la veuve B, c’était du lourd… Mais, chut ! Pas dire du mal d’une belle femme respectée qui ne lésine pas sur le métrage de tissu. Pendant l’occupation, elle a pas mal vendu aux Boches, du loden pour les capotes de l’infanterie. 
Du loden comme ça, ils z’en trouvaient pas de l’autre côté du Rhin ; de l’anglais tissé serré. Cher, mais on en a pour son argent. Elle échappé de peu aux sbires de l’épuration, la veuve, grâce à son jules qui est rouge. Cocoquelicot des maquis… Pour la dédouaner il a certifié qu’elle avait aussi fourni en lainage le Vercors, et là gratis.  Et le Vercors c'est pas chaud l'hiver. Certificat de bonne française, allez donc lui jeter la pierre d’avoir su tirer son épingle du jeu de dupes de cette époque. 

En’56, les passions sont apaisées, restent que les vieux ragots qui pâlissent face à la guerre d’Algérie dont il faut se préoccuper. Les rumeurs vont bon train. Guy Mollet ne sait pas quoi faire, abandonner les colons aux canifs des arabes… Mitterand répond :"pas question, fermeté, Algérie française, peine de mort et plus si affinité, on est socialistes ou pas merdum" (car il parlait latin) !… 
Pendant qu’on a les yeux ailleurs, en douce, Nasser l’égyptien nationalise le canal de Suez pour financer le barrage d’Assouan. Rien ne va plus, les actionnaires gueulent, les Anglais se fâchent, les français grognent. 
Du coup, Nasser soutient les nationalistes algériens ! De quoi gâcher les vacances à Houlgate, car on est en juillet. Voilà encore que je m’égare, on en était aux L. et je suis passée à Nasser. Je  n’ai pas le sens de la ligne droite. Pardon lecteur ami.

Les L. j’y reviens. Les propriétaires les regardent avec un rien de condescendance, voire de mépris. Pourtant, ils sont propres, honnêtes (on verra, honnêtes jusqu'à un certain point) et ils paient leur terme avec régularité. Monsieur L., on l’appelle monsieur Henri, par extention son épouse est madame Henri ou plus souvent la femme de monsieur Henri (LFDMH en abrégé) ou  l’Allemande parce qu’elle est arrivée d’Alsace et que l’Alsace fut un peu l’Allemagne au gré des traités. Elle n’est que la moitié transparente de notre voisin. La coutume était fort répandue de nommer les femmes par le prénom de leur mari, alors que l’inverse, non. Personnellement, je n’ai connu aucun monsieur Germaine, ou monsieur Simone. Si vous en avez connu, n’hésitez pas à poster un commentaire. Je suis curieuse de connaître vos sources.
          Monsieur Henri exerce la profession d’électricien. Pour ma mère, il est paré de toutes les grâces parce qu’il est capable de réparer le fer à repasser ce que mon père, marbrier de son état, ne sait pas faire. 
Je soupçonne que l’admiration maternelle ne tient pas seulement aux performances électriques de monsieur Henri. Ça aurait plutôt à voir avec sa belle gueule, et surtout avec sa façon fleurie de lui parler dans le cou, ce que mon père le marbrier ne faisait pas non plus. Dans le quartier, on plaignait monsieur Henri. Un si brave homme, si courageux, si travailleur, si rendant de services… toujours un mot aimable, un sourire. Il est né à trois rues de là. Un petit gars du quartier qu’a eu le malheur d’épouser une Allemande, malade de surcroït. Une grave maladie dont on a du mal à se rappeller le nom en entier. Une sclérose… un truc de peau[1] qui attaque aussi les nerfs, ce qui la rend molle. Elle ne sort pas, ne travaille pas –pas même le ménage - et se déplace avec des béquilles.
Le tac-tac tac-tac des cannes sur le parquet, on l’entend. Il résonne dans la cage d'escalier. LFDMH fait les cents pas dans son trois-pièces cuisine. Les D., (vous vous souvenez qu’ils habitent en dessous) ont proposé de lui offrir des embouts caoutchoutés pour Noel. Quelle compassion !
            Monsieur Henri travaille « à la ville », entendez par là pour la municipalité. Il rentre tôt et prend soin du ménage et de ses deux gamins. Ainsi, il fait l’admiration de toutes les bonnes femmes de la rue qui ont des fainéants à la maison. Son fils Serge est dans ma classe. Un vilain boutonneux sans charme, un peu rondouillard et pas très vif. Il n’a pas attrapé les gènes de l’élégance paternelle. Sa sœur Micheline a deux ans de plus. Elancée, des nichons bien ronds, un petit cul qu’elle balance avec application… Comme on dit elle a du potentiel la gamine. Elle est élève dans un cours complémentaire[2]. Elle ne fait rien de ses dix doigts aux ongles démesurés. C’est une princesse. Moi dont la mère est bien portante, je dois aller chercher le pain, le lait, passer chez le boucher prendre la commande ou chez Luigi acheter du salami, du bacon et des cornichons au poids, encore que là je ne me fasse pas prier. La Micheline fricote le Dimanche après-midi avec Gino le fils à Luigi. Ballade mano in la mano, le long des fortifs. Ils se bécotent de façon éhontée. Cet automne, Gino qui est un as aux fléchettes lui a gagné à la fête foraine, une poupée toute frisée avec une robe de satin rose. Elle l’a exhibée dans toute la rue pour faire bisquer les autres filles. Elle me l’a mise sous le nez pendant que je jouais à la marelle. C’te affaire ! J’ai sauté sur les traits, ce qui porte malheur ! Saloperie de jalousie.  Si longtemps après il me semble  me souvenir que je détestais les enfants L. Il me revient une anecdote. Leur père avait de la « défense » à la ville… Vous voyez ce que je veux dire ?  

Il faisait de la récup. Du fil de cuivre, des bobines, des ampoules qu’il refourguait. Ça améliorait l’ordinaire du ménage  où il ne rentrait qu'un salaire, jusqu’au jour où les flics ont débarqué  pour perquisitionner. Police, ouvrez ! A six heures du mat’, tu imagines le raffût. Le père Palu accroché à ses poubelles n’en pouvait plus de zieuter les flics. Il craignait qu'ils fussent de mèche avec le KGB. Descente des poulets à la cave, remue-ménage du tas de charbon - des boulets. Ils en ressortent bredouilles mais noirs. De vrais mineurs de fond les arsouilles. De mauvais poil, ils entreprennent de démolir à coup de pioche le fond de la cave. Pas de pot. Pile sur la canalisation. Et l'eau qui gicle et les débarbouille. Marrade générale. Seulement, ils sont teigneux, ils crient à la vengeance. On reviendra. Le fils Palu, planqué dans un coin, leur adresse un bras d'honneur Quand tu veux mon con, on t'attend… On sent bien ceux qui ont la conscience en paix et les autres ! 

Vous avez un grenier ? Pardon messieurs, fait monsieur Henri la bouche en coeur ? Ma mère aussi s'en mêle, un grenier qu'est-ce à dire ? Ils rétorquent du tac au tac, un grenier tas d'andouilles ! Un machin en dessous du toit où on peut plaquer des trucs.  
Mais certainement, on a un grenier, si vous voulez vous donnez la peine. 
Et tout le monde de faire la farandole du deuxième jusqu'au quatrième étage, le fief de ma famille. Ma mère indique une trappe au plafond  du palier. C'est là. Allez-y montez donc, vous verrez le petit comme il est grand ! Les pandores trempés et charbonneux se regardent. Une échelle ?  Un escabeau ? 
Certes non, pas d'échelle, pas d'escabeau, nul marche-pieds, mais Messieurs forts et malins comme vous l'êtes, on est certain que vous saurez monter en vous faisant la courte échelle. Nous vous encouragerons de la voix et du geste, allons Messieurs, oh hisse, oh hisse… Le plus grand sert de base, le moyen grimpe sur ses épaules et le troisième qui a le format de Sancho Panza a la lourde responsabilité de pousser sur la trappe. 

Que vont-ils faire les pandores ? Vont-ils se hisser au grenier? Que va devenir la famille de ce brave Monsieur Henri…??

Au prochain épisode, on fera connaissance avec les V. Ils ne sont pas tristes non plus les V. Comptez sur Reine pour tout nous dire. Et la maréchaussée, qui va-t-elle avoir en ligne de mire, après les L…  ?



[1] La sclérose en plaques n’est nullement une maladie de peau, c’est une maladie d’origine autoimmune qui détruit la gaine des nerfs.
[2] L'enseignement primaire supérieur (EPS) est un ordre d'enseignement qui a existé en France entre 1833 et 1959. Il est supprimé, avec les Cours Complémentaires, par la réforme Berthoin en 1959. Cet enseignement était suivi par les élèves à la suite de l’école primaire élémentaire proprement dite, mais relevait des écoles primaires et non de l’enseignement secondaire. Cet enseignement était donné soit dans les écoles primaires sous forme de « cours complémentaires », soit dans des établissements scolaires spécifiques appelés dès lors écoles primaires supérieures.
[3] ROUPIE DE SANSONNET: Expression dont l'origine remonte au XIII ème siècle qui fait allusion à une chose insignifiante.La roupie de l'époque ne fait aucune allusion à la monnaie indienne car non existante à l'époque mais à la goutte d'humeur nasale ou plus communément " morve". A l'origine, cette expression faisait plutôt allusion à la roupie de singe et à la crotte de bique et roupie était issu de roupiou insinuant un externe en médecine. L'apparition du sansonnet semble énigmatique à moins que quelques allusions à "sans le sou" pour dire sans valeur peuvent y être rattachées.

1 commentaire:

  1. AI DEVORE LE CHAPITRE 3 ET LE CHAPITRE 4, ET QUAND JE DIS DEVORE, C'EST BIEN VRAI CAR J'AI L'IMPRESSION DE DEGUSTER UN BON FROMAGE BIEN GOUTEUX PLEIN DE CARACTERE, PAS UN FROMAGE PRESIDENT MAIS UN VRAI DU TERROIR AVEC TOUTE LA SUBTILITE DES GOUTS DU PLUS FIN AU PLUS FORT : UN REGAL.
    JE TROUVE QUE DANS TON ECRITURE IL Y A DU CELINE, C'EST DIRECT, JETE, SANS FIORITURES, C'EST VRAI !!!..... D'AILLEURS IL Y A LES TROIS PETITS POINTS...

    AU SUJET DU 3EME EPISODE, LE MOYEN DE CONTRACEPTION UTILISE, N'ETAIT CE PAS LA MARCHE ARRIERE ? A CONDITION DE BIEN MAITRISER LA BOITE VITESSE. J'ALLAIS DIRE LE LEVIER DE VITESSE!!!
    Joel Quintard de Guingamp

    RépondreSupprimer