La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



samedi 13 juillet 2013

Avignon, impressions impressionnistes


Avignon. Festival. Ambiance contrastée. Fête et boulot. Le même bilan, le même constat tous les ans depuis perpète. In et Off. Face à face. Dos à dos. Le subventionné et ceux qui rament. Le In, ses 40 ou 50 spectacles invités pour 300 représentations, 150 000 billets payants, un budget de 15 millions d’euros, dont la plupart vient des subventions. De l’autre côté le OFF,  un million cinq cents mille spectateurs pour mille deux cents spectacles dont les trois-quarts sont à jeter. 
Un label théâtre devrait s’imposer comme un label fait maison pour les restaurants. Les compagnies du OFF viennent à leurs frais, de leur propre initiative, la plupart sans subvention, et se produisent dans des centaines de lieux, doivent tracter, afficher, monter et démonter leurs décors en 15 minutes chrono. Espoir de faire le plein, d’avoir un article dans le journal du OFF, de se faire remarquer par des programmateurs, de vendre le spectacle et de rentrer dans ses frais. 
Le In, de plus en plus élitiste, de plus en plus abscons 
Le OFF de plus en plus  de « Mon cul sur la commode ». 
Au secours Vilar, qu’ont-ils fait de tes utopies ? Où est passé le théâtre « populaire » ? Victime de la marchandisation, de l'avachissement intellectuel du faire rire avec n'importe quoi. Victime aussi d'un certain théâtre subventionné qui crée pour lui et son petit milieu d'intellos branchés bien en cour (d'honneur). 
Au OFF pas beaucoup de création de contemporains parmi les auteurs dignes de ce nom. Des montages de textes, des auteurs qui ont fait leur preuve et qui perdurent, Hugo, Shakespeare, Molière. Dommage pour la création contemporaine qui reste l'apanage presque exclusif du IN qui la rend aussi indigeste que possible. De quoi faire fuir un public de non initiés (et parfois même..).
Et malgré toutes ces remarques, j’y vais tous les ans, j’y retrouve des amis qui jouent, j’y retrouve le plaisir du partage de ces spectacles vivants. J’y vois une vingtaine de pièces que je sélectionne, j’en reviens enchantée ou déçue selon le cru. Et une fois rentrée je reprends la préparation de nos propres spectacles…

 Avignon. Tout lieu devient salle, un salon de coiffure, un entrepôt, une chapelle en ruine… Quelques bancs rouges, on peint le reste en noir, on accroche des projos sur des perches et une nouvelle salle est née. Poésie de noms: le coin de la lune, la cour du Barouf, Le chien qui fume, La Luna, Les Lucioles, le Grenier à sel… 
Constraste des teintes. Luminescence brûlante des pierres blanchies de soleil, obscurité des salles à la température régulée. Murs peints en trompe-l’œil, Maria Casarès et Gérard Philipe. Hautes murailles du Palais des papes. 



Magie d’un spectacle dans la cour d’honneur du temps où ils étaient magiques (ça remonte à plus de dix ans) le dernier que j'ai vu là, Médée avec Hupert mise en scène de Jacques Lassalle. 








Avignon, déambulation d’une salle à l’autre, par les ruelles historiques écrasées de chaleur, rituel de la queue sous un petit parasol, appuyé à un mur, assis sur le bord du trottoir en feuilletant l’énorme programme. 

Avignon, affichage sauvage partout où un creux se présente. 

Avignon, ampoules aux pieds, transpiration en dégoûlinures. 
Avignon, tourisme et théâtre. Etrangers qui vont voir de la danse, des clowns ou Hamlet parce qu’ils connaissent l’intrigue. 
Familles entières venues s’amuser un après-midi, régaler les enfants d’un spectacle et d’un cornet de glace. 
Aficionados du théâtre, on enfile les spectacles comme les perles d’un collier. On essaie de se souvenir de tout, la mise en scène, l’éclairage, le nom des  comédiens, d’où vient la compagnie. 
On compare avec la création de l’an passé. 
Si le metteur en scène est un copain, quelqu'un avec qui on a travaillé on l’attend et on boit un coup après le spectacle. Il dit ça va, ça faisait un bail… et toi tu fais quoi en ce moment, ça marche ?  Puis il s’en va coller des affiches, participer à un débat à la maison du OFF,  à la maison Jean Vilar, ou à la FNAC…


Librairies théâtrales, achat des textes qui ont marqués. On avale un pain bagnat à la boulangerie du coin. C’est plus sain que les kébabs douteux ou les salades mal lavées, cheveux en prime, qu’on vous sert - hors de prix -  dans les endroits sordides ou au contraire branchés -fauteuils osier, coussins de lin gris. Si on a le temps de faire un repas, on trouve de la bonne cuinse au « Tout  Petit » ou chez « mama Corsica ». Faut réserver c’est toujours plein de midi à minuit.  
Avignon. Douceur des soirées où on est en tee-shirt jusqu’à pas d’heure. Jongleurs et marchands du temple, de la place de l’Horloge, parades en costumes d’époque de ceux qui jouent Barbe-bleue ou Cyrano…, ils suent leur sang sous le velours et la dentelle. Un duel à l’épée, au bâton, les gens se marrent et s'en vont sans se rendre compte du travail. 
Avignon, le public, les contacts… l’acteur parcourt les rues à pied, à vélo, donne des tracts, vous hèle, vous arrête. Si vous avez le temps de l’écouter il va vous expliquer avec enthousiasme ce qu’il fait, ce que le metteur en scène a voulu faire, dire, il vante, s’évertue à convaincre que parmi les 1200 c’est sa pièce qu’il faut venir applaudir. Pour lui, c’est vital. Je les écoute, je sais trop bien ce que signifie jouer, se produire et attirer du monde. Un pari risqué.
Avignon-Aventure, supermarché du théâtre ? Certainement, mais on n’est pas forcé de fréquenter tous les rayons! Personne n’oblige à remplir son caddy de mauvais produits! Seulement faut savoir, faut trouver le bon spectacle. La pêche à la ligne dans cet aquarium-là est aléatoire. Gare à ceux qui ne connaissent ni les auteurs, ni les compagnies, ni les lieux « où c’est toujours de la qualité ». Et la rumeur, le bouche à oreille qui élève ou qui tue. Et les applaudisssements qui n’en finissent pas, qui résonnent encore la nuit dans vos rêves. Le regard des comédiens au troisième rappel, et leurs sourires radieux qui restent longtemps gravés dans votre mémoire comme autant de soleils.

Cette année j’ai vu dans le OFF, au théâtre de l’Oulle un inoubliable « Roméo et Juliette » revisité tzigane. 




Quant au IN, je n’y vais plus. Les critiques mitigés (pas seulement des officiels mais des vrais gens) de « Par les Villages » texte de Peter Handke mis en scène par Stanislas Nordey, avec des vedettes « qu’on voit au cinéma », me confortent dans mon esprit de résistance à cette pseudo modernité intellectuelle qui veut épater le bourgeois et faire parler. J'aime le théâtre, je suis comédienne, j'enseigne, je mets en scène, j'aime et je défends (et pour cause) l'écriture contemporaine. Mais pourquoi tant de prétention grotesque. Le théâtre ça prend aux tripes sinon ce n'est que de la poudre aux yeux.

Je conseille de déguster le roman "L'amour est une île" de Claudie Gallay en revenant d'Avignon ou en imaginant ce festival. 2003, l''ambiance est là, décalée pour cause de grève des intermittents. 

2 commentaires:


  1. Tu as une belle manière de présenter les choses.

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  2. Le festival d'Avignon on en rêve et la, grâce à vous, nous y sommes, vous nous le racontez, le décrivez, l'analysez, une agréable visite que j'ai appréciée à l'abri des rayons généreux de notre soleil de Belgique.

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