22 Juin 2013
Au cours de la matinée de
décicaces et de lectures du 8eme Festival En Aparté de Saint-Raphaël, Le P’tit
Ecrivain m’a proposé de me poser quelques questions à propos de l'écriture.
J’ai joué le jeu.
Louise Caron, que nous avons eu
le plaisir de revoir dernièrement, avec son mari Michel Caron (auteur de Qu'est
l'espingouin devenu), à l'occasion du Festival de Théâtre en Aparté de
Saint-Raphaël, a accepté de répondre à nos questions. Auteur de pièces de
théâtre, de "Se départir" son premier roman, Louise Caron a été aussi
co-lauréate en 2012, avec Laurent Vallerbe, du concours d'écriture théâtrale
organisé par l'association NIACA dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes
des Jeunes Auteurs de Théâtre.
LPE : Louise, où puisez-vous
votre inspiration ?
LC : Je me laisse imprégner par
les lieux. Ils dégagent souvent une atmosphère singulière qui enclenche le
processus créatif ou qui le nourrit. Ensuite c’est principalement dans la vie
quotidienne que je puise l’inspiration. Voir, entendre, mémoriser, digérer des
situations puis au moment d’écrire retravailler ces matériaux bruts en les
transformant pour leur donner du sens, du rythme, les infléchir pour qu’ils
répondent à des situations qui engendrent des conflits, qu’ils laissent
exfiltrer des sentiments. A ce moment-là, intervient le prisme de l’imaginaire.
Les mythes sont aussi pour moi une source inépuisable d’inspiration, parce
qu’ils sont fondateurs des civilisations. Ils sont transversaux, à la base de
la culture humaine. On les retrouve pratiquement à l’identique dans tous les
coins du monde. Ils reflètent, nos incertitudes métaphysiques, notre peur de la
mort, notre façon de nous arranger avec le monde, l’inconnu, l’univers. Ils
sont des repères qui permettent de nous situer dans l’espace et le temps.
LPE : Pourriez-vous nous
raconter l'histoire de vos premiers pas dans l'univers du théâtre ?
LC : Cela remonte à l’enfance.
Passionnée de théâtre classique, je passais mes jeudis aux matinées du théâtre
Sarah Bernhardt ou de la Comédie Française à Paris. Je vibrais aux
supplications d'Andromaque, à la tristesse de Chimère, j’admirais la soif
d'absolu d’Antigone… Je rêvais d’être une de ces héroïnes. J’ai appris par cœur
des milliers d’alexandrins !
En 1960, j'avais 12 ans, Jack
Rallite, maire adjoint à l'éducation et à la culture de la ville où j’habitais,
décide qu'il faut un théâtre à Aubervilliers "un lieu de plaisir et de
culture partagée". Et Gabriel Garran, homme de théâtre, animateur et
militant culturel entre en scène, relève le défi et s’installe dans cette
banlieue en demande, avec le projet du théâtre de la commune qui deviendra CDN
en 1971.
Avant que le théâtre s'implante
dans les locaux de la salle des fêtes, et que des travaux soient entrepris, un
festival est élaboré par Gabriel Garran avec René Allio et Noël Napo, il se
tient dans le gymnase Guy Moquet où avec le lycée je viens faire du sport.
J’y reçois mon premier grand
choc émotionnel et artistique avec Coriolan de Shakespeare. La proximité du
lycée et du théâtre a permis des échanges, des ateliers, des rencontres avec
les acteurs, les metteurs en scène, durant toute ma scolarité. De quoi soutenir
mon envie d'être comédienne. Mais la vie en décida autrement. C’est seulement
en ’83, (après avoir acquis un autre
métier, je suis aussi biochimiste), que je m’inscris dans une école de
théâtre, le TEM, et que je vais me consacrer à la scène.
LPE : Votre formation de
comédienne tient-elle une place importante dans le processus d'écriture de vos
pièces ?
LC : Je pense que oui. Le
comédien a d’abord un rapport au texte. Il travaille à partir des mots d’un
auteur qu’il s’approprie pour les servir de sa voix, son corps, son
intelligence, sa sensibilité. Le remplir de sa densité. Je ne dis pas qu’un
auteur de théâtre doit forcément être comédien, mais il me semble que
l’écriture théâtrale (tout comme la mise en scène) est facilitée par la
pratique du jeu. On sait ce qui « fonctionne » en bouche, l’arrangement des
sonorités, les mots à éviter… ce qui ne conduit pas impérativement un comédien
à devenir un bon auteur. Il me semble aussi que l’interprétation aide à la
construction écrite des personnages, à instaurer les rapports et la progression
dramatique. Dans ma formation, j’ai suivi des ateliers d’écriture, par exemple
avec Michel Azama, Jacques Hadjage tous deux comédiens, metteurs en scène et
auteurs, aussi avec Philippe Ivernel, dramaturge, le spécialiste de Brecht en
France (avec B. Dort qui lui est décédé).
LPE : Le thème de la famille,
notamment les racines familiales, est récurrent dans vos écrits. Est-ce un
thème qui vous tient à cœur ?
LC : Ce thème n’est pas
particulièrement original. Il est récurrent dans la mythologie (Kronos dévorant
ses enfants), dans le théâtre grec (La tragédie des Atrides, Œdipe…), dans les
tragédies shakespeariennes (Hamlet, Lear…), chez Brecht (La noce chez les
petits bourgeois…), également dans l’écriture contemporaine par exemple chez
Jasmina Reza (Conversations après un enterrement…) ou Jean-Luc Lagarce (Le pays
lointain…).
La cellule famililale présente
un interêt du point de vue dramatique parce qu’en son sein se cristallise la
plupart des conflits. Or, la théâtralité nait du conflit. Ce thème m’intéresse,
il permet aux protagonistes d’être aux prises avec leurs problèmes intimes,
dans des situations quotidiennes qui sont incluses dans de la grande Histoire à
laquelle ils participent, parfois bien malgré eux.
Par exemple, dans ma pièce qui
a été primée au NIACA l’an passé « Comme un parfum d’épices dans les odeurs de
menthe », on rencontre trois familles. Chacune à sa manière est le reflet de la
culture à laquelle elle appartient dans un pays donné à un moment précis de
l’Histoire. Les enjeux entre les personnages sont fortement liés à ce contexte.
Dans cette pièce, les pères
sont absents. Les mères sont l’épine dorsale du texte. Ce sont elles qui
élèvent leurs fils ou leur filles, elles portent la responsabilité de la
reproduction des valeurs (bonnes ou mauvaises) de la société dans laquelle
elles vivent. Elles ont le pouvoir de faire évoluer les choses. Le font elles ?
Toute la question est là. L’attitude surprotectrice, voire castratrice de la
mère de Niko, son idée de ce qu’un garçon doit faire ou pas, sa hantise du
scandale, son racisme latent, maintiennent un jeune homme traumatisé par la
guerre dans un état de dépendance inquiétant. Cette attitude prend tout son
sens dans l’Amérique d’aujourd’hui, celle du politiquement correct, celle qui
ne se remet pas de ses guerres « civilisatrices » et qui s’enfonce dans le
désarroi économique. Cette Amérique-là n’a rien à proposer à une petite Rom
ambitieuse de dix-sept ans, comme Miréla qui veut réaliser ses rêves de devenir
une vraie artiste en dépit de sa mère, dans le deuxième volet de la pièce. Par ailleurs,
il est à noter que cette jeune fille se fait des illusions en croyant pouvoir
mieux s’épanouir à Paris… Quand à la troisème fille de la pièce, Sohrab, elle
représente l’évolution de la femme arabe, le refus d’être « comme sa mère »
soumise à la loi des mâles. En prenant part au conflit armé elle se hausse au
niveau d’inhumanité des hommes et constate qu’une femme peut-être même plus
barbare qu’un homme si elle joue de sa féminité pour ajouter à la cruauté. Il y
a un glissement du rôle de la mère à celui de la femme en général dans les
schémas de reproduction culturelle.
Travailler sur la famille
aboutit souvent à un questionnement sur le déterminisme des sexes dans les
fonctions sociales.
J’ai écrit d’autres pièces qui
se situent au cœur de la famille : « La nuit de la Saint Sylvestre » un huit
clos entre un père malade face à ses trois filles qui lui ont caché, depuis le
11 septembre 2001, la mort de leur frère à New-York. « Instantanés familiaux »,
qui met en scène sept frères et soeurs confrontés au décès de leur mère et à
des révélations qui vont bouleverser le cours de leurs existences.
Des extraits sont consultables
sur mon blog http://caronlouise.blogspot.fr/p/mes-textes-dramatiques.html et sur la Théâtrothèque.
On retrouve aussi dans mes pièces
le thème de la mort.
LPE : Se départir est votre
premier roman. Quel est selon vous le point de rencontre entre l'écriture
romanesque et l'écriture théâtrale ?
LC : C’est une question qui
revient souvent. L’écriture théâtrale et l’écriture romanesque ne sont pas
aussi différentes qu’on l’imagine. La construction de base est identique. Une
problématique, des situations qui permettent de traiter cette problématique et
des personnages qui vont porter le conflit, tout ceci dans un style donné. La
construction dramatique est assez semblable également, il faut privilégier le
suspens pour garder en éveil l’intêret du spectateur/lecteur. Les personnages
doivent avoir la même densité dans les deux cas. Pour moi, le rythme de la
phrase passe avant tout. Pour le tester, je relis toujours à haute voix mes
textes (théâtre ou roman) et si un mot ne rend pas la musique appropriée, je le
change. L’écriture doit être musicale même quand on lit « dans sa tête ». Trop
de mots tuent le sens, il faut alléger au maximum, ne garder que ce qui est
pertinent. C’est un enseignement de l’écriture théâtrale.
Ce qui différe ce sont les
descriptions des lieux et l’expression des sentiments. Au théâtre, l’auteur
donne des indications sommaires dans les didascalies, par exemple « A la tombée
du jour, un salon, lumière tamisée », la dramaturgie, le décor et la mise en
scène ajouteront les éléments environnementaux pour créer l’atmosphère. Pour ce
que je nomme « le conflit » et les rapports entre les personnages, au théâtre
tout passe par la parole et le jeu des actions qu’elles aient été indiquées par
l’auteur par exemple : « On sonne à la porte », qu’elles découlent des
répliques par exemple : « Ouvre cette valise, si tu n’as rien à cacher », ou
qu’elles émanent de la vision du metteur en scène – ce qu’on nomme les actions
paradoxales – par exemple dans « Le partage de midi » de Claudel, Antoine
Vitez, sans aucune nécessité, fait ramper le personnage de Messa indiquant par
cette action sa déraison.
Pour l’auteur de théâtre, point
n’est besoin de faire dire dans le dialogue « J’en tremble » ou « Lis
l’angoisse dans mon regard » ; cela est du ressort de l’interprétation. Dans le
texte à jouer on ne « fait » pas de littérature.
Au contraire, dans un roman,
l’auteur doit mettre ses personnages en situation dans ce que j’appelle un
paysage, et pour cela le paysage doit être décrit. Là encore, à mon avis, il
faut être économe, décrire juste ce qui est nécessaire à créer l’atmosphère, ne
pas brider l’imagination du lecteur, le laisser libre de se faire sa propre
image. Pour moi, un roman est réussi quand au cours de la lecture j’ai
suffisament d’éléments pour visionner dans ma tête « une version cinématographique
intérieure ». A l’identique pour les sentiments, trouver le mot juste plutôt
que la périphrase. Il faut privilégier le style. « Le style, monsieur… Ah ! Le
style, il n’y a que ça. ». Voilà ce que disait Céline, l’inventeur d’un style
qui a radicalement révolutionné la littérature. Chaque écrivain digne de ce nom
possède un style personnel. Phrases
longues, phrases courtes, écriture très dialoguée ou descriptive. Cependant, il
me semble qu’un auteur ne doit pas s’enfermer dans un style. De même qu’un
comédien doit jouer chaque rôle différemment et disparaître au profit du
personnage, un auteur doit être capable d’adapter son style au propos qu’il traite. Trouver une « petite
musique singulière » pour chaque roman, une langue et un rythme propres à chaque
personnage. Le lecteur retrouvera forcément des tics d’écriture, des ambiances,
des villes, des problématiques chères à l’auteur mais comme le disait justement
Stendhal le meilleur style est celui qui se fait oublier. Il faut finalement se
laisser guider par ses personnages.
LPE : Si vous deviez passer une
journée dans la peau d'un des personnages de votre roman, lequel
choisiriez-vous? Pourquoi ?
LC : Je choisirais François
Benkébir, l’amant vaincu d’Eléonore. Pourquoi choisir ce personnage secondaire
? D’abord, parce qu’il apporte à l’histoire une dimension historique. Ses
origines franco-algériennes, son enfance et sa jeunesse dans l’Algérie de la
décolonisation lui confèrent une stature particulière, à la fois dans sa façon
de se comporter et dans le regard que les gens portent sur lui. Il a développé
une personnalité complexe qui réclame une « reconnaissance ». Ce n’est pas une
reconnaissance comparative (je suis mieux que tel autre), mais une
reconnaissance individuelle. Dans le roman, celle-ci lui est par trois fois
déniée, par Eléonore qui refuse de le suivre, par ses grands-parents qui
refusent de le recevoir et par Léa qui refuse la main qu’il lui tend.
Ce personnage montre une grande
dignité devant ces refus. D’un point de vue philosophique, il veut être
lui-même. Cela ne recouvre pas seulement la signification d’exister, il ne
s’agit pas non plus pour lui d’exhiber son identité, il s’agit d’être reconnu
en tant qu’être humain signifiant. C’est à la fois au niveau intersubjectif et
disons au niveau politique que ce situe pour François le véritable enjeu. De
mon point de vue d’auteure, cet enjeu est important dans la société actuelle où
beaucoup de personnes souffrent d’un manque criant d’identité.
LPE : Vous êtes Eléonore. Quel
conseil donneriez-vous à Louise Caron
LC : Je lui donerai trois
conseils :
1- De ne pas enfermer ses
personnages dès le début dans un carcan trop formel afin de leur laisser la
liberté d’advenir.
2- De ne pas céder à la
tentation de faire mourir les
personnages dont elle ne sait plus quoi faire et dont elle souhaite se
débarrasser, bien que cela ne se soit pas produit dans SE DEPARTIR.
3- De tenter d’écrire un jour
une comédie hilarante.
LPE : Quels sont vos projets ?
LC : Ils sont nombreux avec des
états d’avancements différents.
Il y a la valorisation de Se
départir dans des salons du livre. Le 4 aôut à Jaujac en Ardèche, en septembre
au salon du livre Cèze-Cévennes et à Alès à la médiathèque en octobre. Ensuite
au gré des invitations…
Au niveau écriture pour la
scène :
- deux textes en chantier, et
une idée derrière la tête dont il est prématuré de parler.
Au niveau de l’écriture
romanesque :
- un recueil de trois nouvelles
intitulées « Des îlots d’errance » auquel j’apporte les dernières retouches
avant de l’envoyer à des éditeurs. Ce sont trois histoires dans lesquelles les
personnages voient leur vie basculer à un moment précis. Une réflexion sur le
point de rupture, avec un Avant et un Après.
- une tentative de transformer
la pièce « Comme un parfum d’épices… » en roman. Tentative extrêmement délicate
qui se heurte à beaucoup d’écueils. Actuellemnt je me documente énormément sur
l’histoire des guerres d’Irak pour sortir de l’anecdotique et donner une
consistance à l’histoire. Je ne suis pas certaine d’aboutir.
- un roman qui se passe en
hiver… dont je viens de commencer l’écriture et qui n’a pas trouvé de titre
pour l’instant puisque La traversée de l’hiver a déjà été utilisée par Amélie
Nothomb. Une histoire avec des blessures et des non-dits, un questionnement la
possibilité de rompre définitivement avec son passé, sa famille, et comment
vivre avec le poids d’une tache originelle.
Au niveau de la scène :
- Notre Cie théâtrale prépare
un spectacle avec quatre comédien(nes) sur la guerre de 14-18 pour le début
2014, à partir de témoignages de textes, de lettres, tout ceci remis en forme
avec des intermèdes que Michel et moi écrivons actuellement. Il y aura aussi un
accompagnement musical, peut-être le groupe de musique de Laurent Vallerbe.
- De nouvelles lectures
publiques à l’automne à Anduze d’abord, de « La loterie de la vie », de
Laurent. Décidement avec Laurent on ne se quitte plus, on sera ensemble dans le
jury à Cannes pour les Rencontres NIACA 2013.
- Et toujours, nos cours de
lecture à haute voix les jeudis soirs, et les ateliers théâtre que nous
proposons tous les lundis soirs.
L’interview et la critique de
Se Départir sont consultables sur le blog de Le P'tit écrivain.
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