La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



mardi 12 mars 2013

Une réponse à un commentaire sur Coup de Chapeau à Lorenzaccio





  1. Ce post en réponse à une demande rédigée ainsi à propos de mon post précédent.
    Coup de Chapeau à Lorenzaccio...
    Anonyme11 mars 2013 11:20 à écrit
    merci pour cet article... qu'est ce que vous avez pensé/perçu des costumes, décors et justement de ce "manque " de prise de position sur l'ensemble du spectacle/chantier...?

    Cher Anonyme. 

    Ceci ne reflète que mon propre ressenti par rapport à mes goûts et mes expériences du théâtre. Nulle prise de position au nom « DES SPECTATEURS », ni dans ce j’ai écrit dans le billet, ni dans cette réponse. 

    En préambule, le Lorenzaccio de Musset je le connais dans toutes sortes de mises en scène ; avec des costumes « riches » et florentins dans un  décor d’immenses bras entrelacés comme des branches d’un arbre monstrueux (Lavaudant, 1989), dans celle de Francis Huster la même année, plus modeste, dans celle de Jean-Pierre Vincent, à Avignon, en costumes du 19 eme siècle, romantique dans le romantisme, Lorenzo efféminé, représenté dans le dispositif naturel de la Cour du Palais des Papes d'Avignon, quelques toiles rouges transparentes évocatrices du feu qui brûle Lorenzo, de la barbarie, du chaos…


    Il me semble que Le Lorenzaccio (celui de Musset) demande de l’apparat (par ex. la scène de l’assassinat du duc, sans apparat tombe vite dans le « gore hémoglobinique » un chouia grand'Guignol). Cela suppose des moyens techniques et financiers gigantesques en proportion des décors. Pour "dominer" Lorenzaccio il faut de la grandeur.  
Il pourrait aussi se concevoir dans de grands décors blancs à la Yannis Kokkos. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu ça… Pourtant, il est probable que quelqu'un l'ait fait.
    Celui de G. Sand, même entremêlé de Musset, dans un espace plus resserré, s’accomode d’un dispositif scénique simple. 
    Concernant les costumes, les choix esthétiques ne sont pas choquants. Les costumes étaient cohérents avec le décalage. Y compris la tenue du duc au restaurant. Cela disait : « Quand on est à ma place on peut tout se permettre ». 
    Pour ma part, je les aurais souhaités davantage décalés assumant jusqu’au bout de ce que l’on pressent des choix de mise en scène. Je me trompe peut-être, je ne suis pas dans la tête de F. Borie, je ne sais rien de précis sur ses choix. J’extrapole qu’on ne m’en veuille pas.
    
Pour le décor. Il ne cherche pas à être réaliste, il évoque le lieu. La technique est à vue, à jardin. La perspective peinte et le sol en damier offrent aux spectateurs l’illusion de la profondeur au lointain. C’est un peu étriqué, contreplaqué, un peu la structure d’une baraque à gaufres ! A mon avis, un décor plus minimaliste aurait aussi bien convenu au propos. Ceci dit, il fallait résoudre le problème technique des entrées, sorties. 
Et puis c'est le choix que le metteur en scène a fait. Ce décor « fonctionne », il a le grand mérite de se faire oublier. Les nappes à carreaux façon pizzeria donnent une ambiance « rital » très réussie assez « berlusconienne ». Et  le spectateur,  se laisse embarquer, c'est le principal.
    Les costumes du bal, au départ, auraient pu être plus spectaculaires, plus décadents encore. Ils évoquent néanmoins les fêtes des masques florentins. Et le char est parfait. Il semble me souvenir que la lumière sert bien ce moment. Elle est atténuée. Je ne sais plus s’il y a eu des effets stromboscopiques ou pas. Bon, les tables du restaurant ont des pieds tubes et alors ??? Le matelas est un simple matelas de galetas et alors ??? 
    
Un bémol sur le relax Lafuma blanc à cour (je ne voyais pas celui de jardin), d’un autre côté j’ai préféré sa nudité, plutôt que de le voir recouvert d’un plaid ou d’un velours « cacheur » de misère ! Ma formation brechtienne qui ressort. Tout ça n’empêche pas le théâtre d’advenir. Au contraire.
    
Pas de prise de position. Moi j’aime ça. Je l'ai déjà dit dans l'article précédent. 
    Il n’y a pas de réponse univoque, chacun a la sienne. Si elle lui est imposée, qu’est-il venu faire au théâtre ? Chercher des réponses toutes faites à des questions posées par ceux-là même qui donnent les réponses ? A mon sens, il vaut mieux induire qu’imposer. Ce qui est le cas dans ce spectacle comme dans la pièce l’Attentat.


    Le théâtre donneur de leçon m'ennuie et je crois que je ne suis pas la seule. J'ai fait  depuis, un petit sondage auprès de plusieurs personnes ayant vu le spectacle.
    Spectacle ou chantier ? Les deux et ce n’est pas paradoxal. Chantier c’est un beau mot comme celui d’Atelier. Il y a une certaine noblesse à travailler de ses mains, de son corps, de sa voix, à construire, à déconstruire et à reconstruire. Rien n’est gravé dans le marbre puisque le matériau est vivant.
 
    Le jeu des acteurs principaux est convainquant. Lorenzo, un peu trop lisse peut-être, plus halluciné que tourmenté, et comme la pièce ne pose que le problème individuel, le personnage n’assume pas la dualité « soi » et « la cité », ni le tourment face à ses proches ( sa mère, sa soeur…) d'être considéré comme un dépravé.
    J’ai trouvé ce spectacle abouti, il est possible (probable) qu’il s’améliore, qu’il se modifie au cours du temps, c’est la vie d’un spectacle. Le spectateur, la plupart du temps, n’aura qu’une vision éphémère. Celle de la représentation d’un soir. Qu’importe ce qui se fera le lendemain ou qui s’est fait la veille.
  2. 
Je laisse à Antoine Vitez le mot de la fin dans un extrait de « Ecrits sur le théâtre Vol. 2. ». 

    Ses mots paraissent plus que jamais d’actualité dans une période où l’argent public ne tombera plus comme une manne abondante.



    «Faire du théâtre aujourd’hui, (1968) c’est répondre à la question posée depuis finalement pas très longtemps en France (une vingtaine d’années) pour la première fois par Jean Vilar : quelle forme trouver, exprimant le rapport nouveau que nous cherchons avec le public ? Car il ne s’agit pas seulement de penser que nous devons faire pour un public nouveau un art nouveau (…) 
    Non je parle bien d’un rapport nouveau à inventer avec le public. 
Ainsi, je pense qu’il y a au moins deux sortes de théâtre possibles : d’une part le grand théâtre qui a besoin d’une architecture, d’une scénographie modernes, des nouveautés de la technique et de beaucoup d’acteurs. 
(…) Et d’autre part un théâtre qui se donne pour tâche de trouver le nouveau public chez lui, pas dans des théâtres faits pour être des théâtres, mais là où il est le plus naturellement rassemblé(…) bref plutôt locaux que salles
.
On comprend que je n’oppose pas l’un à l’autre. Il faudrait les deux. Ici et maintenant, nous faisons (dans la ville d’Ivry) celui-ci et nous l’appelons théâtre de quartier. (…)

    



Nous ne nous épuisons pas à faire entrer de force des décors sur des scènes trop petites, ou bien à mettre des costumes faits pour la lumière du théâtre riche qui sont dérisoires vus de près. Nous nous interrogeons sur ce que nous voulons vraiment faire avec les forces que nous avons. 
    Car finalement, de quoi s’agit-il ? Il y a une histoire à raconter, un rêve, une fiction, quelque chose, un mythe qu’il faut lancer à un groupe de gens, le public, et il y a un autre groupe de gens, les acteurs, qui doivent raconter, montrer cette histoire. (…) Nous n’avons besoin pour cela ni de décors, ni de costumes. 
Nous savons aussi que nous n’inventons rien, les conteurs arabes avant nous, Brecht et les Russes des années 20 l’ont fait…

    Voilà ce qu’est le théâtre de quartier : un groupe d’acteurs qui raconte une histoire, pas n’importe quelle histoire, une histoire écrite, réécrite, un poème, pas nécessairement avec des décors magnifiques et des costumes de scène, et parfois même sans scène, chacun jouant plusieurs rôles - l’important est de faire valoir et comprendre l’histoire, faire entendre un langage.

    





A mon tour, Anonyme, de vous poser une question : qu’avez-vous pensé de mon post qui a motivé votre demande de réponse ?
    




NB : Pour le décalage cf : adaptation et m.e.s. du Lorenzaccio de Musset par Michel Belletante, création Théâtre et Cie 2013 : Lorenzo comme un infiltré chez les mafieux. 


4 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je n'arrive pas à trouver le post initial : "Coup de chapeau à Lorenzaccio"... Mais votre réponse m'a plus que convaincu. Avec ma compagnie « Le Bateau Ivre » nous proposons actuellement un cycle de conférences autour de l'oeuvre de Musset en vu d'une future création mise en scène par Mario Gonzalez intitulée : Laurenzaccio.
    La première conférence est visible en intégrale sur le lien suivant : http://bit.ly/20131212-conf-luta.
    J'espère que les amateurs de Lorenzaccio seront intéressés !

    RépondreSupprimer
  2. Merci du lien. Je vais regarder. Le premier article est sur le lien suivant http://caronlouise.blogspot.fr/2013/03/coup-de-chapeau_8.html
    Merci de votre intérêt pour ce blog. Louise

    RépondreSupprimer
  3. Merci beaucoup ! Je vais le lire.
    Bonne continuation pour le Blog.
    Philippe

    RépondreSupprimer