La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



vendredi 8 mars 2013

Coup de chapeau à ...



Le Lorenzaccio, une conspiration en 1537 d'après George Sand
Co-mise en scène Frédéric Borie, Marion Guerrero
Présenté au Cratère du 6 au 8 Mars 2013 salle d'à côté.

Si ce spectacle figure dans cette rubrique, c'est qu'il m'a plu. Enormément plu. 



Je me doutais que ce serait un excellent travail, compte-tenu du talent de l'équipe d'acteurs (de copains) entourant Frédéric Borie (artiste associé au Cratère) et des précédents spectacles réalisés avec Machine théâtre.

Vous avez dit Lorenzaccio...

Pour ceux qui auraient oublié, (il me semble qu'on étudiait cette pièce au lycée, mais c'est loin… et aujourd'hui quid des jeunes ?)  il n'est pas inutile de rappeler qui est le héros de(s) la pièce(s) Lorenzaccio surnom péjoratif dont les gens affublent Lorenzo de Médicis. 

Pour cela pas besoin d'un long cours d'histoire. Ca se passe à Florence dans un jeu antagoniste de rapports de force, d'un côté le pape et l'empereur Charles Quint, de l'autre François 1er ( qui ? mais si, Marignan 1515 !! vous vous souvenez !) Les premiers s'appuient sur les Médicis, le roi de France mise sur les républicains. Au milieu de ce tumulte s'entrecroisent des destins individuels.

La portée politique de Lorenzaccio.

A l'époque où elle a été écrite, cette pièce a été vue comme une critique de la révolution de 1830. Une sorte de décalage chronologique et métaphorique.
George Sand a écrit en 1831 ce qu'elle a nommé sa scène historique  "Une conspiration en 1537"  dans une facture pas  tout à fait "romantique". On y trouve encore l'unité de temps, chère au théâtre classique qui sera rejetée par le romantisme. C'est l'ébauche du futur texte de Musset (écrit pour être lu) à qui elle l'a offert.
Cette ébauche a le mérite d'être claire et simple dans son déroulement, avec 12 personnages au lieu d'une cinquantaine chez Musset. Lorenzo assassine le duc, il se venge et cet  assassinat laisse le pouvoir vacant. Lorenzo pourrait "entrer en politique". Non,  il laisse volontiers la place. Il n'a pas tué Alexandre pour ça .
Dans les toutes dernières répliques (omises dans le spectacle) de la dernière scène de la pièce de George Sand, Lozenzo dit : " Jamais Lorenzo n'a travaillé pour les hommes, et dans ceci moins que jamais. partons,. Echappons à cette bête féroce qu'on appelle le peuple…" 
La portée politique d'une conspiration en 1537 est certainement moindre que dans le Lorenzaccio de Musset. 

On peut  voir ce Lorenzaccio de F. Borie  à travers différents cadres:
- en tant que spectateur non averti qui embarque dans la magie des couleurs, du jeu, de la musique et des lumières,  qui se laisse emporter par l'histoire; 
- en tant que littéraire qui connait les textes;
- en tant qu'historien qui connait le contexte et l'époque;
 - en tant que comédien ou metteur en scène qui connait les répliques et les anciennes dramaturgies et qui découvre là, autant de profondeur que de nouveauté.  
Qu'importe ce que l'on sait a priori, on voit le spectacle avec un grand plaisir, on applaudit à tout rompre ces jeunes et talentueux interprètes.

Les personnages présents sur le plateau du Cratère nous réservent des surprises ! Ils ne sortent pas  tous de la pièce de George Sand.


Le duc de Florence : c'est Alexandre de Médicis un bâtard du pape Clément VII, qui a épousé la fille bâtarde de Charles Quint. C'est bétonné pour le pape et l'empereur de ce côté là des alliances. Un peu tuyau de poêle. Le duc est un tyran débauché qui gouverne par la force en s'appuyant sur l'armée allemande. 
Lorenzo: Cousin du duc. S'est promis de le tuer. Il s'y prépare comme pour un match de boxe. Dans ce but il gagne sa confiance en étant son "mignon", l'organisateur de ses plaisirs illicites. Il partage sa débauche et lui sert d'informateur. Le personnage  de Lorenzo est "schizophrène", miroir à deux faces, tourmenté et tourmenter. Ce rôle est le rêve de tout jeune acteur (trice). Il fut incarné par Sarah Bernhardt et par le mythique Gérard Philippe mis en scène dans le texte de Musset par Jean Vilar en 1952.
Marie Soderini : La mère de Lorenzo et de Catherine (Cattina)
Cattina: Soeur de Lorenzo. Elle a seize ans, elle a éveillé chez le duc une passion d'homme. Traduisez : il veut coucher avec elle point-barre.
La marquise Cibo: Personnage qui n'est pas dans la pièce de George Sand, vient du texte de Musset. C'est la femme du marquis Cibo et la belle-soeur du Cardinal Cibo. Elle plait au Duc et s'imagine capable de modifier sa conduite par de beaux discours dans le déduit. C'est  une femme naïvement réformiste.
Le cardinal CiboPersonnage qui n'est pas dans le pièce de George Sand. vient du texte de Musset. Il cherche une façon de "tenir" le duc et encourage la liaison adultère entre ce dernier et la marquise espérant recueillir le fruit des confidences sur l'oreiller. Celui-là est un pragmatique lucide.
Cardinal Valori: commissaire apostolique émissaire du pape à la cour de Florence. Déteste Lorenzo.
Sire Maurice: Chancelier des Huits. Absent chez George Sand. 
Bindo : Oncle de Lorenzo, républicain, ennemi du Duc.
Venturi : Fabricant de soieries, bourgeois ennemi du Duc.
Philippe Stozzi : Vieil humaniste bavard, ennemi juré du Duc, connait les projets de Lorenzo. Absent chez George Sand. 
Scoronconcolo: Soldat napolitain, spadassin à la solde de Lorenzo.
Sarah Bernhardt : Actrice qui joua Lozenzo au théâtre de la Renaissance en 1896.

La pièce de Frédéric Borie. Un OVNI.

On l'aura compris, Frédéric Borie a tricoté les deux pièces pour notre bonheur et en a fait une oeuvre originale dans une mise en scène non conventionnelle qui sert parfaitement le propos en gardant la structure de la pièce de George Sand. Les personnages secondaires sont les observateurs de l'action dans un procédé courant de distanciation. 


La première scène donne le la ! Un martèlement de boum boum sourds, comme des coups. Un prologue probablement écrit par l'équipe dont une partie se perd dans la musique. Un bal costumé, décadent comme la Florence des Médicis, une musique de rock qui donne le rythme et la violence. Cette scène (sauf le rock) vient de chez Musset, de même que la scène entre la mère et la fille qui est un extrait de la scène 6 de l'acte I. 

Le choix du jeu de l'actrice (la mère) - cigarette lunettes noires- induit forcément la suppression de la scène II de la "Conspiration". On imagine mal ce personnage parler de l'honneur des Soderini et proposer à sa fille qui lit Lucretia en latin dans Tite-Live, le poignard plutôt que le déshonneur en cas de viol…


Au centre le duc, à gauche Bindo, à droite Venturi, debout Lorenzo

Quand au décor, il est superbement simple. La terrasse du "Ristorante" . Le repas se prête à la mise en évidence de  la veulerie, la tyrannie du duc, les faux-semblants des cardinaux… à l'évanouissement de Lorenzo devant une épée. 
Formidable raccourci qui permettra au spectateur de comprendre les stratagèmes de Lorenzo, un peu plus tard dans la scène avec Scoronconcolo.  La scène avec Philippe Strozzi sort aussi de Musset (Si je ne me trompe pas, c'est un extrait de l'acte 3, scène 3). Ainsi que les scènes entre les Cibo (Acte 2, scène 3 et Acte IV, scène 5). Ces scènes entre le cardinal et sa belle-soeur sont les seules porteuses d'un "écho" politique. Dans cette pièce il y a deux personnages parfaitement lucides, ce sont Lorenzo et le cardinal Cibo. Tous les deux font coïncider leurs paroles et leurs actes. Au delà de la mort du Duc, ils savent que ce qui aura de l'importance c'est la manipulation, celle des individus, celle du peuple habitué à être sous le joug. A Florence le peuple ne fera pas la révolution, les républicains ne prendront pas le pouvoir, il y aura un autre tyran à la place du tyran. 
Tant que les individus accepteront la servitude volontairement, les tyrans seront les maîtres du monde. On pense à La Boétie… "Discours sur la servitude volontaire". 
Et l'histoire se répète… on a en tête la petite musique du printemps arabe et la tournure que les évènements ont pris un an après en Tunisie par exemple (cf. le livre de Mathias Enard rue des voleurs )… Mais de cela rien n'est dit, c'est ce qu'on voit qui incite à y songer… magie et intelligence du théâtre.

Le parti pris conserve la rapidité et la simplicité de la pièce de George Sand, même si le nombre de répliques venant du texte original est assez réduit en final. 

Les personnages secondaires forment une ossature sans chair (ce qui ne signifie pas sans jeu), ils concourent à valoriser le personnage de Lorenzo, à rendre perceptible ses contradictions dans une lecture verticale du texte.
On nous montre sur scène l'accomplissement d'une vengeance, la réalisation d'un destin individuel. Lorenzo a travaillé pour lui. Il s'est débarrassé du tyran qui l'avilissait. Il a tué le père en quelque sorte si on se rattache au mythe. C'est la catharsis, l'épuration des passions par leur dramatisation. Et ça s'arrête là. Pas de prise de position.

Le spectacle se termine par quelques minutes d'un  "choeur" brechtien à une seule voix, celle de Sarah Bernhardt (ce n'est pas vraiment un choeur, mais ça me l'a évoqué ! ) Elle nous raconte en contrepoint objectif,  la mort de l'anarchiste Auguste Vaillant, condamné pour ses idées. Le peuple venu assister au spectacle de la guillotine ne voit la mort de cet homme que sous l'angle du fait divers, le macabre spectacle d'une décapitation. 


"Et la foule pour laquelle il avait pleuré, crié, expié, s'égrenait lentement, nonchalante et ennuyée. Pauvre Vaillant! Il avait cependant de folles, de généreuses idées!" Noir.


Tout est dit… Tout est vrai. Chacun pense ce qu'il veut, analyse ou pas… la liberté c'est ça. Merci à Frédéric Borie et Marion Guerrero de cette liberté. 


Si ce spectacle tourne, ce que j'espère, allez le voir.

Article succinct du Midi Libre

Les textes de G. S et de A de M. sont réunis dans un petit volume chez Pocket.

2 commentaires:

  1. merci pour cet article... qu'est ce que vous avez pensé/perçu des costumes, décors et justement de ce "manque " de prise de position sur l'ensemble du spectacle/chantier...?

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    1. J'ai répondu de façon publique sur un billet consultable
      http://caronlouise.blogspot.fr/2013/03/une-reponse-un-commentaire-sur-coup-de.html

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