La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



samedi 14 février 2015

Coup de chapeau

Le Capital et son Singe
Un collectif de virtuoses
au Cratère d'Alès.

Vingt acteurs pour interpréter la pièce mise en scène par Sylvain Creuzevault.

“Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce davantage.”
"Ne pensons plus, soyons heureux."


Le Capital et son singe est un OVNI qui tient de l’épopée de shakespearienne ou du théâtre épique cher à Brecht. 
Le sujet c’est le capitalisme dans sa force historique, sa violence organique, orgiaque, ses mille et une ruses, mille et un artifices, sa capacité à nous faire croire qu’il n’y a pas d’autre de modèle possible, qu’en dehors de la sphère capitaliste, point de salut et que l’aliénation est inéluctable, et que notre vie doit se passer sous le joug du salariat. Un salaire qui nous permet à peine d'acheter (vendu avec un bénéfice) ce que l'on a produit en vendant sa force de travail.

Ce spectacle, élaboré collectivement - improvisation, écriture au plateau, remise en chantier quotidienne -  s’empare du Livre de Marx, Le Capital, texte élaboré à la fin de sa vie et resté inachevé, édité en 1867.
Si tout le monde connaît le titre bien peu de gens l’on lu, alors en faire une pièce de théâtre est osée. D’autres s’y sont frotté aussi avec succès: par exemple Jacques Allaire et Luc Sabot (Marx matériau, extention, production Théâtre des treize vents.)

Marx, dans la pièce, demeure invisible, il n’est représenté que sous forme d’un masque en fil rouge. En revanche ses écrits ajoutés à ceux d’Engels -qui s’invite à la table - et beaucoup d’autres d’autres comme Walter Benjamin, le situationiste Guy Debord (dans la bouche du personnage Daniel), alimentent la conversation.
Et c’est une analyse critique extraordinaire d’une société de travail sous une organisation capitaliste de la production à laquelle on assiste, et grâce à un formidable jeu à trois on va comprendre la différence entre la valeur d’usage et la valeur d’échange.

Le choix scénographique et l’histoire

Un dispositif bifrontal met le public sur des gradins, face à face, de chaque côté d’un espace occupé par plusieurs tables mises bout à bout.
On est le 13 mai 1848, dans la salle du Club des Amis du Peuple, rue Transnonain, à Paris.

Le spectacle débute de façon anachronique par rapport au lieu.

Trois voix pour un corps. 
Brecht reçoit Michel Foucault et Freud. C’est plein de références, la distanciation, das Verfremdung, le rapport entre le pouvoir et le savoir. Le gardien unique de "Surveiller et punir", les obséssions brechtiennes (on va le retrouver celui-là) dans la scène de la noce. C’est hilarant tant ça fourmille de rapprochement et d’intelligence.

On asiste ensuite à la réunion ce 13 mai, du nec plus ultra des républicains de tous bords, plus ou moins révolutionnaires, tièdes, mous, déçus par le gouvernement issu de la nouvelle Assemblée Constituante, fraîchement élue au suffrage universel direct masculin... (là... les femmes protestent). 
Pourtant, cette assemblée est bien peu favorable aux mesures sociales, puisqu’elle est en majorité monarchiste ! Parmi les mécontents on retrouve autour de la table : le chimiste et homme politique Vincent-François Raspail, le socialiste Auguste Blanqui et son copain Armand Barbès, Louis Blanc et sa barbe… Le jeune Engels, ami et collaborateur de Marx assis en bout de table. L'Assemblée entend s'affranchir de la pression populaire ? Attention, le peuple ne se laissera pas faire, le souvenir de la révolution de 1792 est encore chaud.

Tous ces gaillards discutailllent des moyens de la révolution autour d’assiettée de lentilles et de saucisses (de ma place, c’était rose). L’ombre de Marx plane, car il a publié au début de la même année, le Manifeste du parti communiste.

Et le tricotage continu. 
Ils nous transportent en 1919, dans l’Allemagne défaite et en crise après la révolution, dans un repas de noces (référence à la noce chez les petits bourgeois de B. B., l’armoire que le marié à faite lui même, la marié enceinte…) mais en plus s’invitent dans la conversation Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, la défunte république de Weimar. Un ouvrier fait devant son patron l’apologie de la mécanisation et de la chaîne. À la fin apparait Spartacus !

Tricotage encore, en assiste à une improbable séance du procès de Bourges
Ce procès vire au vinaigre. Les accusés pressent des oranges...
Blanqui assure sa défense en faisant perdre pied à la cour, Raspail fait son cirque, Barbès tourne la cour en ridicule.
Les acteurs réinventent ce procès fantasque avec les armes du théâtre, le jeu, rire et la dérision. Et c’est un autre grand moment de ce spectacle.

La fin sur un chant de la Commune de Paris, La semaine Sanglante, émeut aux larmes.

Sauf des mouchards et des gendarmes
On ne voit plus par les chemins
Que des vieillards tristes en larmes
Des veuves et des orphelins
Paris suinte la misère
Les heureux même sont tremblants
La mode est au conseil de guerre
Et les pavés sont tout sanglants

REFRAIN
Oui mais ça branle dans le manche
Les mauvais jours finiront
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront (bis)

On traque on enchaîne on fusille
Tous ceux qu’on ramasse au hasard
La mère à côté de sa fille
L’enfant dans les bras du vieillard
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges
Valets de rois et d’empereurs…

Musique : Pierre DUPONT Paroles: Jean-Baptiste CLÉMENT

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