La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



dimanche 23 juin 2013

Interview de Louise Caron auteure du roman SE DEPARTIR



22 Juin 2013

Au cours de la matinée de décicaces et de lectures du 8eme Festival En Aparté de Saint-Raphaël, Le P’tit Ecrivain m’a proposé de me poser quelques questions à propos de l'écriture. J’ai joué le jeu.




Louise Caron, que nous avons eu le plaisir de revoir dernièrement, avec son mari Michel Caron (auteur de Qu'est l'espingouin devenu), à l'occasion du Festival de Théâtre en Aparté de Saint-Raphaël, a accepté de répondre à nos questions. Auteur de pièces de théâtre, de "Se départir" son premier roman, Louise Caron a été aussi co-lauréate en 2012, avec Laurent Vallerbe, du concours d'écriture théâtrale organisé par l'association NIACA dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes des Jeunes Auteurs de Théâtre. 

LPE : Louise, où puisez-vous votre inspiration ?

LC : Je me laisse imprégner par les lieux. Ils dégagent souvent une atmosphère singulière qui enclenche le processus créatif ou qui le nourrit. Ensuite c’est principalement dans la vie quotidienne que je puise l’inspiration. Voir, entendre, mémoriser, digérer des situations puis au moment d’écrire retravailler ces matériaux bruts en les transformant pour leur donner du sens, du rythme, les infléchir pour qu’ils répondent à des situations qui engendrent des conflits, qu’ils laissent exfiltrer des sentiments. A ce moment-là, intervient le prisme de l’imaginaire. Les mythes sont aussi pour moi une source inépuisable d’inspiration, parce qu’ils sont fondateurs des civilisations. Ils sont transversaux, à la base de la culture humaine. On les retrouve pratiquement à l’identique dans tous les coins du monde. Ils reflètent, nos incertitudes métaphysiques, notre peur de la mort, notre façon de nous arranger avec le monde, l’inconnu, l’univers. Ils sont des repères qui permettent de nous situer dans l’espace et le temps.

LPE : Pourriez-vous nous raconter l'histoire de vos premiers pas dans l'univers du théâtre ?

LC : Cela remonte à l’enfance. Passionnée de théâtre classique, je passais mes jeudis aux matinées du théâtre Sarah Bernhardt ou de la Comédie Française à Paris. Je vibrais aux supplications d'Andromaque, à la tristesse de Chimère, j’admirais la soif d'absolu d’Antigone… Je rêvais d’être une de ces héroïnes. J’ai appris par cœur des milliers d’alexandrins !
En 1960, j'avais 12 ans, Jack Rallite, maire adjoint à l'éducation et à la culture de la ville où j’habitais, décide qu'il faut un théâtre à Aubervilliers "un lieu de plaisir et de culture partagée". Et Gabriel Garran, homme de théâtre, animateur et militant culturel entre en scène, relève le défi et s’installe dans cette banlieue en demande, avec le projet du théâtre de la commune qui deviendra CDN en 1971.
Avant que le théâtre s'implante dans les locaux de la salle des fêtes, et que des travaux soient entrepris, un festival est élaboré par Gabriel Garran avec René Allio et Noël Napo, il se tient dans le gymnase Guy Moquet où avec le lycée je viens faire du sport.
J’y reçois mon premier grand choc émotionnel et artistique avec Coriolan de Shakespeare. La proximité du lycée et du théâtre a permis des échanges, des ateliers, des rencontres avec les acteurs, les metteurs en scène, durant toute ma scolarité. De quoi soutenir mon envie d'être comédienne. Mais la vie en décida autrement. C’est seulement en ’83, (après avoir acquis un autre  métier, je suis aussi biochimiste), que je m’inscris dans une école de théâtre, le TEM, et que je vais me consacrer à la scène.

LPE : Votre formation de comédienne tient-elle une place importante dans le processus d'écriture de vos pièces ?

LC : Je pense que oui. Le comédien a d’abord un rapport au texte. Il travaille à partir des mots d’un auteur qu’il s’approprie pour les servir de sa voix, son corps, son intelligence, sa sensibilité. Le remplir de sa densité. Je ne dis pas qu’un auteur de théâtre doit forcément être comédien, mais il me semble que l’écriture théâtrale (tout comme la mise en scène) est facilitée par la pratique du jeu. On sait ce qui « fonctionne » en bouche, l’arrangement des sonorités, les mots à éviter… ce qui ne conduit pas impérativement un comédien à devenir un bon auteur. Il me semble aussi que l’interprétation aide à la construction écrite des personnages, à instaurer les rapports et la progression dramatique. Dans ma formation, j’ai suivi des ateliers d’écriture, par exemple avec Michel Azama, Jacques Hadjage tous deux comédiens, metteurs en scène et auteurs, aussi avec Philippe Ivernel, dramaturge, le spécialiste de Brecht en France (avec B. Dort qui lui est décédé).

LPE : Le thème de la famille, notamment les racines familiales, est récurrent dans vos écrits. Est-ce un thème qui vous tient à cœur ?

LC : Ce thème n’est pas particulièrement original. Il est récurrent dans la mythologie (Kronos dévorant ses enfants), dans le théâtre grec (La tragédie des Atrides, Œdipe…), dans les tragédies shakespeariennes (Hamlet, Lear…), chez Brecht (La noce chez les petits bourgeois…), également dans l’écriture contemporaine par exemple chez Jasmina Reza (Conversations après un enterrement…) ou Jean-Luc Lagarce (Le pays lointain…).
La cellule famililale présente un interêt du point de vue dramatique parce qu’en son sein se cristallise la plupart des conflits. Or, la théâtralité nait du conflit. Ce thème m’intéresse, il permet aux protagonistes d’être aux prises avec leurs problèmes intimes, dans des situations quotidiennes qui sont incluses dans de la grande Histoire à laquelle ils participent, parfois bien malgré eux.
Par exemple, dans ma pièce qui a été primée au NIACA l’an passé « Comme un parfum d’épices dans les odeurs de menthe », on rencontre trois familles. Chacune à sa manière est le reflet de la culture à laquelle elle appartient dans un pays donné à un moment précis de l’Histoire. Les enjeux entre les personnages sont fortement liés à ce contexte. 
Dans cette pièce, les pères sont absents. Les mères sont l’épine dorsale du texte. Ce sont elles qui élèvent leurs fils ou leur filles, elles portent la responsabilité de la reproduction des valeurs (bonnes ou mauvaises) de la société dans laquelle elles vivent. Elles ont le pouvoir de faire évoluer les choses. Le font elles ? Toute la question est là. L’attitude surprotectrice, voire castratrice de la mère de Niko, son idée de ce qu’un garçon doit faire ou pas, sa hantise du scandale, son racisme latent, maintiennent un jeune homme traumatisé par la guerre dans un état de dépendance inquiétant. Cette attitude prend tout son sens dans l’Amérique d’aujourd’hui, celle du politiquement correct, celle qui ne se remet pas de ses guerres « civilisatrices » et qui s’enfonce dans le désarroi économique. Cette Amérique-là n’a rien à proposer à une petite Rom ambitieuse de dix-sept ans, comme Miréla qui veut réaliser ses rêves de devenir une vraie artiste en dépit de sa mère, dans le deuxième volet de la pièce. Par ailleurs, il est à noter que cette jeune fille se fait des illusions en croyant pouvoir mieux s’épanouir à Paris… Quand à la troisème fille de la pièce, Sohrab, elle représente l’évolution de la femme arabe, le refus d’être « comme sa mère » soumise à la loi des mâles. En prenant part au conflit armé elle se hausse au niveau d’inhumanité des hommes et constate qu’une femme peut-être même plus barbare qu’un homme si elle joue de sa féminité pour ajouter à la cruauté. Il y a un glissement du rôle de la mère à celui de la femme en général dans les schémas de reproduction culturelle.
Travailler sur la famille aboutit souvent à un questionnement sur le déterminisme des sexes dans les fonctions sociales.
J’ai écrit d’autres pièces qui se situent au cœur de la famille : « La nuit de la Saint Sylvestre » un huit clos entre un père malade face à ses trois filles qui lui ont caché, depuis le 11 septembre 2001, la mort de leur frère à New-York. « Instantanés familiaux », qui met en scène sept frères et soeurs confrontés au décès de leur mère et à des révélations qui vont bouleverser le cours de leurs existences.
Des extraits sont consultables sur mon blog http://caronlouise.blogspot.fr/p/mes-textes-dramatiques.html  et sur la Théâtrothèque.
On retrouve aussi dans mes pièces le thème de la mort.

LPE : Se départir est votre premier roman. Quel est selon vous le point de rencontre entre l'écriture romanesque et l'écriture théâtrale ?

LC : C’est une question qui revient souvent. L’écriture théâtrale et l’écriture romanesque ne sont pas aussi différentes qu’on l’imagine. La construction de base est identique. Une problématique, des situations qui permettent de traiter cette problématique et des personnages qui vont porter le conflit, tout ceci dans un style donné. La construction dramatique est assez semblable également, il faut privilégier le suspens pour garder en éveil l’intêret du spectateur/lecteur. Les personnages doivent avoir la même densité dans les deux cas. Pour moi, le rythme de la phrase passe avant tout. Pour le tester, je relis toujours à haute voix mes textes (théâtre ou roman) et si un mot ne rend pas la musique appropriée, je le change. L’écriture doit être musicale même quand on lit « dans sa tête ». Trop de mots tuent le sens, il faut alléger au maximum, ne garder que ce qui est pertinent. C’est un enseignement de l’écriture théâtrale.
Ce qui différe ce sont les descriptions des lieux et l’expression des sentiments. Au théâtre, l’auteur donne des indications sommaires dans les didascalies, par exemple « A la tombée du jour, un salon, lumière tamisée », la dramaturgie, le décor et la mise en scène ajouteront les éléments environnementaux pour créer l’atmosphère. Pour ce que je nomme « le conflit » et les rapports entre les personnages, au théâtre tout passe par la parole et le jeu des actions qu’elles aient été indiquées par l’auteur par exemple : « On sonne à la porte », qu’elles découlent des répliques par exemple : « Ouvre cette valise, si tu n’as rien à cacher », ou qu’elles émanent de la vision du metteur en scène – ce qu’on nomme les actions paradoxales – par exemple dans « Le partage de midi » de Claudel, Antoine Vitez, sans aucune nécessité, fait ramper le personnage de Messa indiquant par cette action sa déraison.
Pour l’auteur de théâtre, point n’est besoin de faire dire dans le dialogue « J’en tremble » ou « Lis l’angoisse dans mon regard » ; cela est du ressort de l’interprétation. Dans le texte à jouer on ne « fait » pas de littérature.
Au contraire, dans un roman, l’auteur doit mettre ses personnages en situation dans ce que j’appelle un paysage, et pour cela le paysage doit être décrit. Là encore, à mon avis, il faut être économe, décrire juste ce qui est nécessaire à créer l’atmosphère, ne pas brider l’imagination du lecteur, le laisser libre de se faire sa propre image. Pour moi, un roman est réussi quand au cours de la lecture j’ai suffisament d’éléments pour visionner dans ma tête « une version cinématographique intérieure ». A l’identique pour les sentiments, trouver le mot juste plutôt que la périphrase. Il faut privilégier le style. « Le style, monsieur… Ah ! Le style, il n’y a que ça. ». Voilà ce que disait Céline, l’inventeur d’un style qui a radicalement révolutionné la littérature. Chaque écrivain digne de ce nom possède un style personnel.   Phrases longues, phrases courtes, écriture très dialoguée ou descriptive. Cependant, il me semble qu’un auteur ne doit pas s’enfermer dans un style. De même qu’un comédien doit jouer chaque rôle différemment et disparaître au profit du personnage, un auteur doit être capable d’adapter son style au   propos qu’il traite. Trouver une « petite musique singulière » pour chaque roman, une langue et un rythme propres à chaque personnage. Le lecteur retrouvera forcément des tics d’écriture, des ambiances, des villes, des problématiques chères à l’auteur mais comme le disait justement Stendhal le meilleur style est celui qui se fait oublier. Il faut finalement se laisser guider par ses personnages.

LPE : Si vous deviez passer une journée dans la peau d'un des personnages de votre roman, lequel choisiriez-vous? Pourquoi ?

LC : Je choisirais François Benkébir, l’amant vaincu d’Eléonore. Pourquoi choisir ce personnage secondaire ? D’abord, parce qu’il apporte à l’histoire une dimension historique. Ses origines franco-algériennes, son enfance et sa jeunesse dans l’Algérie de la décolonisation lui confèrent une stature particulière, à la fois dans sa façon de se comporter et dans le regard que les gens portent sur lui. Il a développé une personnalité complexe qui réclame une « reconnaissance ». Ce n’est pas une reconnaissance comparative (je suis mieux que tel autre), mais une reconnaissance individuelle. Dans le roman, celle-ci lui est par trois fois déniée, par Eléonore qui refuse de le suivre, par ses grands-parents qui refusent de le recevoir et par Léa qui refuse la main qu’il lui tend.
Ce personnage montre une grande dignité devant ces refus. D’un point de vue philosophique, il veut être lui-même. Cela ne recouvre pas seulement la signification d’exister, il ne s’agit pas non plus pour lui d’exhiber son identité, il s’agit d’être reconnu en tant qu’être humain signifiant. C’est à la fois au niveau intersubjectif et disons au niveau politique que ce situe pour François le véritable enjeu. De mon point de vue d’auteure, cet enjeu est important dans la société actuelle où beaucoup de personnes souffrent d’un manque criant d’identité.

LPE : Vous êtes Eléonore. Quel conseil donneriez-vous à Louise Caron 

LC : Je lui donerai trois conseils :

1- De ne pas enfermer ses personnages dès le début dans un carcan trop formel afin de leur laisser la liberté d’advenir.

2- De ne pas céder à la tentation de faire mourir les   personnages dont elle ne sait plus quoi faire et dont elle souhaite se débarrasser, bien que cela ne se soit pas produit dans SE DEPARTIR.

3- De tenter d’écrire un jour une comédie hilarante.

LPE : Quels sont vos projets ?

LC : Ils sont nombreux avec des états d’avancements différents.
Il y a la valorisation de Se départir dans des salons du livre. Le 4 aôut à Jaujac en Ardèche, en septembre au salon du livre Cèze-Cévennes et à Alès à la médiathèque en octobre. Ensuite au gré des invitations…
Au niveau écriture pour la scène :

- deux textes en chantier, et une idée derrière la tête dont il est prématuré de parler.

Au niveau de l’écriture romanesque :

- un recueil de trois nouvelles intitulées « Des îlots d’errance » auquel j’apporte les dernières retouches avant de l’envoyer à des éditeurs. Ce sont trois histoires dans lesquelles les personnages voient leur vie basculer à un moment précis. Une réflexion sur le point de rupture, avec un Avant et un Après.

- une tentative de transformer la pièce « Comme un parfum d’épices… » en roman. Tentative extrêmement délicate qui se heurte à beaucoup d’écueils. Actuellemnt je me documente énormément sur l’histoire des guerres d’Irak pour sortir de l’anecdotique et donner une consistance à l’histoire. Je ne suis pas certaine d’aboutir.

- un roman qui se passe en hiver… dont je viens de commencer l’écriture et qui n’a pas trouvé de titre pour l’instant puisque La traversée de l’hiver a déjà été utilisée par Amélie Nothomb. Une histoire avec des blessures et des non-dits, un questionnement la possibilité de rompre définitivement avec son passé, sa famille, et comment vivre avec le poids d’une tache originelle.

Au niveau de la scène :

- Notre Cie théâtrale prépare un spectacle avec quatre comédien(nes) sur la guerre de 14-18 pour le début 2014, à partir de témoignages de textes, de lettres, tout ceci remis en forme avec des intermèdes que Michel et moi écrivons actuellement. Il y aura aussi un accompagnement musical, peut-être le groupe de musique de Laurent Vallerbe.

- De nouvelles lectures publiques à l’automne à Anduze d’abord, de « La loterie de la vie », de Laurent. Décidement avec Laurent on ne se quitte plus, on sera ensemble dans le jury à Cannes pour les Rencontres NIACA 2013.
- Et toujours, nos cours de lecture à haute voix les jeudis soirs, et les ateliers théâtre que nous proposons tous les lundis soirs.
L’interview et la critique de Se Départir sont consultables  sur  le blog de Le P'tit écrivain.
 Critique du roman sur le blog le p'tit écrivain






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