Louise Caron
Quand Gwen (blog, les mots de Gwen)qui fait des critiques de livres et qui tient un blog littéraire m'a demandée si j'accepterais de répondre à ses questions pour sa rubrique entretien avec des auteurs, j'ai répondu oui sans hésiter.
Titulaire d’un doctorat d’état en biochimie,
Louise R. Caron entreprend en 1983 une formation de comédienne. Ensuite, elle
partage sa vie entre la recherche et la scène. En 2007, elle quitte Paris pour
les Cévennes. Depuis, elle se consacre au théâtre et à l’écriture. Elle a reçu
en septembre le prix d’Écriture Théâtrale "NIACA 2012" pour sa pièce Comme
un parfum d’épices dans les odeurs de menthe.
Rencontre avec Louise Caron
1. Pour
commencer, parlez-nous un peu de vous ?
Mon état civil en bref : née un 31 décembre,
soir de Réveillon c’est probablement par esprit de contradiction que j’aime me
coucher de bonne heure. Je suis mariée, j’ai deux fils. Trois petits-enfants
sont venus agrandir la famille. En 2007, par choix mon mari et moi avons quitté
Paris. Nous sommes installés dans le sud des Cévennes à deux pas de la
bambouseraie de Prafrance.
Mon caractère : je ne suis pas compliquée mais
je ne me laisse pas faire. Il paraît que j’ai le sens de l’humour. J’aime rire
et pourtant, je suis incapable d’écrire des comédies. Je suis anti-conformiste.
Je fréquente beaucoup de monde et pourtant mes vrais amis se comptent sur les
doigts de la main.
Ce que j’aime : j’apprécie la solitude,
paradoxalement j’aime la conversation. J’aime enseigner, transmettre, nager,
lire au soleil, cultiver des roses, observer mon chat. J’aime le japon, l’art
de l’ikebana, la peinture et la sculpture contemporaine, mes artistes préférés
sont Egon Schiele, Matisse, Picasso, Harper, Modigliani, Camille Claudel.
Gourmande de cuisine fine et de bons vins, je m’intérese à l’œnologie et aux
arts de la table.
Je n’aime pas : les importuns, les poseurs,
les "je sais tout", les perpétuels mécontents et l’étalage des
richesses. Je déteste le vent violent, le froid, la neige.
Mes goûts musicaux : j’écoute de la
chanson française à textes, Bernard Joyet, Agnès Bihl et parmi des chanteurs
plus connus Brel, Brassens, Férré. J’aime aussi le blues et la musique
renaissance et baroque. Mes préférences vont aux pièces pour violoncelle, ou
viole de gambe.
Cet aperçu permet de comprendre que je suis
éclectique.
2. Une question s'impose: si
l'on se réfère à votre cursus - un doctorat en biochimie - nous pouvons nous
demander pourquoi l'écriture ?
Cela n’a pas de rapport. Encore qu’en cherchant
bien on peut toujours tout rapprocher. Par exemple, j’applique à mon écriture
une rigueur très scientifique. Mon parcours scolaire et universitaire fut assez
atypique. J’avais envie de devenir comédienne ou médiéviste (comme mon
personnage Eléonore dans Se dépatir.) Mes parents ne voulaient pas
entendre parler d’art dramatique, trop précaire !
Après un bac de philosophie, j’ai préparé le
concours de l’Ecole des Chartes, j’ai abandonné en cours de route, la sélection
n’étant pas trop mon truc. Bifurcation vers un BTS d’analyses médicales !
Ne me demandez pas pourquoi. Le hasard des rencontres, le besoin de
m’affranchir de ma famille en travaillant rapidement. Déception, le métier ne
me plaisait pas. J’ai repris mes études, une spécialité en neurobiologie et un
doctorat en biochimie. L’écriture de deux mémoires de thèse fut déjà un pas
vers l’écriture. En même temps, je me suis inscrite dans une Ecole de théâtre
pour réaliser mon envie de devenir comédienne. A partir de là, femme-orchestre
j’ai mené de front les deux activités et ma vie familiale. Recherche
scientifique le jour et le soir la scène. Dans les années 90, j’ai eu la chance
de rencontrer Michel Azama au Théâtre de l’Est Parisien et de pratiquer avec
lui des ateliers d’écriture. Ce fut le véritable déclencheur de l’écriture.
J’ai compris que les mots permettaient de dépasser le réel. Depuis je n’ai
cessé d’écrire pour le théâtre. Le roman est venu plus tard quand j’ai pu
consacrer davantage de temps à l’écriture.
J’ai un peu dévié de la question. Pourquoi
l’écriture quand on a une formation scientifique (mais pas seulement) ?
Pour le plaisir, le besoin de matérialiser par des mots les idées qui me
traversent, trouver la stratégie d’un espace-temps où les personnages puissent
se poser les questions qui me préoccupent, et tenter de trouver des réponses
aux comportements humains, laisser mon imagination travailler en gardant
l’esprit logique. Et finalement, le plaisir d’être lue, d’échanger et de faire
réfléchir. Je suis heureuse quand un lecteur(trice) me dit s’être senti
différent après avoir lu mon roman.
3. Vous souvenez-vous du premier roman que vous
ayez lu ?
Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas
certaine à 100%. Dans les années 60, la littérature jeunesse était moins
développée qu’aujourd’hui. Pour les gamins, il y avait la bibliothèque rose et
verte. Les contes du chat perché de Marcel Aymé, la série du Club des
cinq d’Enid Blyton. Ensuite on passait directement aux livres d’adultes. Il
me semble que le premier vrai roman pour adulte que j’ai lu et qui m’a marqué
est Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell ou l’Enfant de
Jules Valès. Dans mon souvenir la lecture de ces deux ouvrages me paraît
contemporaine. Je devais avoir une douzaine d’années.
4. Si vous deviez n'emmenez qu'un seul livre sur
une île déserte, lequel serait-ce ? Et pourquoi ?
Voilà une question embarrassante pour une
passionnée de lecture qui n’aime pas choisir. A première vue, je dirais le
dictionnaire. Il contient tous les mots et leurs définitions, et sa lecture m’a
toujours entraînée dans des voyages imprévus, dans des endroits inconnus, et
des rêveries sans fin. Le déchirement serait de devoir abandonner Voyage au
bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline qui est mon ouvrage de cœur.
5. Quelle fut votre source d'inspiration pour
écrire Se départir ?
La question du ressentiment et de la mémoire me taraudait depuis
plusieurs années. J’y pensais sans réussir à trouver le moyen de l’aborder. Je
parle de la mémoire considérée non pas du point de vue des mécanismes de
stockage et de rappel, mais du point de vue de la vérité. Quelle est la
part de vérité et de mensonge conscient ou le plus souvent inconscient, dans ce
qu'on emmagasine sous forme de souvenirs.
Ce sont les lieux qui m’ont d’abord inspirée (seuls éléments
autobiographiques du roman) des lieux connus où j’ai mis en scène les
personnages. L’île de Bréhat par exemple, que je connais bien. Un îlot de rêves
et de souvenirs. Les îles sont des mondes en miniature, elles concentrent les
passions, limitent les échappées, les déplacements et exacerbent les sentiments.
C’était une évidence pour moi, c’est là précisément que le drame initial devait
se produire, et par conséquent ce lieu deviendrait un lieu pour la mémoire des
personnages.
Je me suis inspirée, pour mettre en scène Eléonore, du quartier
de Paris dans lequel j’ai toujours vécu avant de déménager dans le Sud. Cela
m’a permis d’écrire avec beaucoup de vérité sur les changements que je constate
à chaque visite, sur l’inhumanité des grandes villes que l’on perçoit davantage
quand on vit comme moi dans une région peu peuplée, où les gens sont assez
solidaires.
Un peu avant d’écrire Se départir, j’avais relu un
bouquin sur le SIDA datant des années 80, au moment où on pensait que
l’épidémie ne touchait pratiquement que les homosexuels. Je me suis rendue
compte de "l’infamie" que représentait aux yeux des autres la
responsabilité d’être les vecteurs de ce virus mortel. J’ai eu envie de
traiter de l’intolérance par rapport à ce que les gens nomment la
normalité en matière de sexualité.
La peinture aussi fut une source d’inspiration,
j’ai regardé beaucoup de gravures, de reproductions, et j’ai cherché quels
étaient les peintres qui pouvaient donner du sens à mes personnages. Définir
leurs caractères au travers de leurs goûts sans avoir besoin de les mettre en
mots, d’en faire des descriptions. Idem pour leurs goûts littéraires. Choisir
de faire lire des poèmes de Yeats au personnage de Thibaut me paraît parlant.
6. En tant qu'auteur, quel regard portez-vous sur
la littérature d'aujourd'hui ?
Je suis effrayée par le nombre grandissant de livres publiés.
Par le fait que le livre puisse devenir une marchandise comme la lessive que
l’on vend à coup de campagne publicitaire en supermarché. Il me semble que cela
favorise les livres plébiscités par le grand public. Ceci dit le nombre des
ventes n’est pas synonyme de livre facile. Petite Poucette, le
nouveau livre de Michel Serres, philosophe des sciences, s’est vendu déjà à 100
000 exemplaires. Certes on est loin des chiffres de Cinquante nuances
de Grey la romance érotique de E. L. James. Aujourd’hui comme hier la
littérature produit de bons et de mauvais ouvrages. Il y a en davantage sur le
marché, le roman prend diverses formes, fantaisy, romance, vampires, toute une
littérature spécialisée, en plus des romans des auteurs connus comme Modiano,
Nothomb, Auster, Kennedy… sans oublier Marc Lévy (que je n’aime pas)… Le plus
étrange (et décevant) c’est que dans cette masse de livres, le style soit si
pauvre,voire quasi absent et tellement uniforme. A part quelques-uns par
exemple l’art français de la guerre d’Alexis Jenni ou La
maison des anges de Pascal Bruckner, les livres sont pleins de bons
sentiments et de consensualité. C’est bien écrit mais le plus souvent sans
surprise et sans style. A quand un auteur aussi inventif que L.F. Céline ?
7. Avez-vous des projets pour un avenir proche ?
Je suis en train de terminer un recueil de trois
nouvelles. Des îlots d’errance est le titre présumé. J’ai une pièce de
théâtre La voix des machines et un roman en chantier. Ce dernier étant
une transposition d’une pièce que j’ai écrite l’an dernier intitulée Comme
un parfum d’épices dans les odeurs de menthe. Le travail est plus difficile
que ce que j’avais imaginé au départ, car un texte à jouer permet des ellipses
que le roman interdit. De temps en temps je publie quelques extraits de mon
travail d’écriture en chantier sur mon blog dans la rubrique
"Avant-goût". Actuellement côté scène, je fais une pause après avoir
joué un an La ménagerie de verre de Tennessee Williams. Je
travaille sur un projet de mise en scène de textes ayant trait à la guerre de
14. Une satanée boucherie qui aura cent ans l’an prochain.
8. En dehors de la scène et de l'écriture, quels
sont vos loisirs ?
La scène n’est pas un loisir, c’est mon activité
principale avec l’enseignement de l’art dramatique. Dans le temps qui me reste
libre, je m’occupe de mon jardin, je marche, je fais des photos, je vais au
théâtre et surtout je lis.
Réalisé le 05 mai 2013
Merci à Louise Caron pour avoir pris le temps de
me répondre !
Vous pouvez visiter son blog en suivant ce LIEN ou encore lire ma critique sur Se
départir en cliquant ICI
Blog de Gwen l'interview et des photos.
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