L’hiver des hommes de Lionel Duroy,
Editions Julliard (2012)
Résumé : A l’origine du départ de Marc - écrivain (double de l’auteur) - pour Belgrade, une
question qui le poursuit : pourquoi
la fille du général Mladic, commandant en chef des forces serbes durant le
siège de Sarajevo, accusé de génocide, s'est-elle tirée une balle dans la tête
avec le revolver préféré de son père ? Etudiante brillante, elle avait tout pour réussir. Les Serbes refusent la thèse du suicide préférant défendre celle de l'assasinat. Marc s’intéresse depuis des années au destin des enfants de
criminels de guerre et à leur façon de vivre ou de rejeter la culpabilité de leurs parents. Obsédé par le suicide d'Ana Mladic, il part enquêter en novembre 2010. Ce voyage lui permet aussi de faire une pause dans
sa vie personnelle, après la séparation avec la femme qu'il aime. On retrouve là, la part autobiographique des livres de Lionel Duroy.
A Belgrade, accompagné d’un traducteur, il va faire des
rencontres. En particulier les plus proches lieutenants de l’unité du Général Radko Maldic, la plupart étant recherchés pour crimes de guerre. A leur
instigation, il gagne
la République serbe de Bosnie ou, d’après eux se trouve le véritable peuple serbe qui a gagné la guerre et qui continue
de se battre aujourd'hui contre les Musulmans. Arrivé à Pale (capitale "historique" des Serbes de Bosnie) sous la neige qui paralyse la ville, Marc se retrouve dans un étrange hôtel. Il découvre des gens emmurés, accablés, abandonnés. Ils vivent entre eux dans l'amertume d'une victoire qui à leurs yeux leur a été volée. Ils assument les atrocités qu'ils ont commises sans états d'âme. Leur rapport avec
cette histoire et, partant de là avec celle de leur pays, va être retranscrit par Marc, fidèlement sans jugement. La plupart de ces gens continuent de considérer Radko Mladic,
"le boucher des Balkans", comme un héros national.
Mon Avis : Ce livre est proche de l’essai, du reportage. Lionel Duroy qui est journaliste est allé plusieurs fois en Bosnie, à Sarajevo durant la guerre. Il connaît bien la région et cela se ressent dans sa façon d’aborder le récit. La touche romanesque est liée à l’introduction des réminiscences de son histoire personnelle - le départ de sa femme, le chagrin qu'il traîne depuis l'enfance. Ces à-côtés permettent à l'auteur d'explorer la question de la fatalité, de l'héritage, du destin, et la possibilité de se reconstruire. Ils apportent également un répit au lecteur. L'écriture claire de Lionel Duroy laisse percevoir le parallèle qui existe entre les guerres des Balkans et les tragédies individuelles au sein de la famille, sa famille. Les unes comme les autres se poursuivent, se répercutent de générations en générations comme une malédiction éternelle. L'auteur réfléchit sur l'enfermement. Celui où nous place notre naissance et les "prisons" que l'on construit autour de soi, à l'instar de cette République serbe de Bosnie, qui vit enclavée, en conflit avec le reste du monde, alors que Sarajevo est tout près, et que, vu de là-bas, la guerre est enfin finie et la page tournée.
Cette lecture met parfois mal à l’aise, tant on a conscience du
gâchis, de l’absurdité du nationalisme exacerbé qui a fait que des voisins amis
de la veille se sont entretués. On se demande si parfois les hommes n'avancent pas la tête à l’envers, dans l'Histoire et dans leur propre vie ! L'Hiver des hommes est un très bon livre, pas gai - le titre est bien choisi -
mais il laisse entrevoir que les prisons ont ont des portes, qu'une évasion est possible si on le veux bien. Cette idée est pour moi parfaitement imagée par l'arrivée
rocambolesque et lumineuse de l'auteur à Sarajevo autant de l'autocar et dévalant la colline.
Extraits:
Nous
croyons qu'à rompre avec la source du mal nous allons pouvoir inventer notre
propre vie et apporter le bonheur à nos enfants alors que nous
sommes faits de ce mal et qu'ainsi il continue de nous habiter et de nous
ronger quoi que nous décidions, et quel que soit l'endroit du monde
ou nous allions nous réfugier.
…
"Je donnerais à voir
toute la machinerie de nos âmes en plein travail, cherchant une issue à tâtons,
se cognant, blessant, éructant, pleurant silencieusement parfois, mais
continuant malgré tout d'espérer atteindre la lumière",
Biographie :
Lionel
Duroy, né le 1er octobre 1949 à Bizerte, est issu d'une famille d'origine noble
mais désargentée, laquelle a longtemps partagé des idées d’extrême droite. Sa
jeunesse dans ce milieu l'a marqué profondément et sera le terreau de plusieurs
de ses livres (Priez pour nous, Le Chagrin).
Lionel
Duroy sera d'abord livreur, coursier, ouvrier, puis journaliste à Libération
et à L'Événement du
jeudi.
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