La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



samedi 20 avril 2013

Mes lectures du moment

La fête au bouc de Mario Vargas Llosas, 
éditions Gallimard, 2002

Résumé : Une jeune femme, avocate à New-York, revient trente ans après sur les traces de son enfance à Saint-Domingue. Elle se nomme Urania Cabral, son père fut ministre et président du Sénat durant toute la dictature de Rafaël Léonidas Trujillo Molina.

Elle rend visite à ce père aphasique, cloué dans un fauteuil roulant par un accident vasculaire cérébral, avec lequel elle avait coupé les ponts depuis son départ aux USA à l'âge de quatorze ans. Cette visite est pour elle l'occasion de régler un vieux compte et de se remémorer ce que furent ces années de dictature, jusqu'à l'attentat qui coutât la vie au dictateur le 30 mai 1961. 

Extrait: Un sujet que j'aurais aimé évoquer avec toi, papa. Les femmes, le sexe. As-tu eu des aventures depuis la mort de maman ? Je n'ai jamais rien remarqué. Tu n'avais pas l'air de courir le jupon. Le pouvoir te comblait-il si bien que tu n'avais pas besoin de sexe? ça se voit même sur cette terre chaude. C'est le Président perpétuel Don Joachim Balaguer, non ? Célibataire encore à quatre-vingt dix ans. Il écrit des poèmes d'amour et les rumeurs font état d'une fille qu'il aurait eu en cachette. Moi, il m'a toujours donné l'impression qu'il ne s'est jamais intéressé au sexe, que le pouvoir lui a donné ce que donne aux autres le lit. Etait-ce ton cas papa? Ou as-tu eu de discrètes aventures ? Trujillo t'a-t-il invité à ses orgies à la Maison d'Acajou? Que se passait-il là-bas? Le Chef s'amusait-il aussi, comme Ramfils, à humilier ses amis, ses courtisans en les obligeant à se raser les jambes, la tête, à se maquiller comme de vieilles tapettes ? Aimait-il cela? T'es-tu prêté à ce jeu ? ...


Mon avis : A partir d'un destin individuel, l'auteur nous entraîne au coeur de la dictature de Trujillo à Saint-Domingue, qui dura une trentaine d'années. Comme dans tous ses romans, l’écriture de Mario Vargas Llosas est foisonnante. Le récit est fait de bifurcations, de nombreux personnages bien campés, d'espace temps multiples et de destins qui s’entrecroisent souvent pour le pire. Tout est pêle-mêle et pourtant comme dans un puzzle tout se met en place au fil des pages. Une sorte de reportage historique. Nous sommes entraîné dans la vie quotidienne du tyran, sont exposés les malversations, les orgies, les turpitudes, les tortures, les exécutions, tout ce qui fait l’apanage d’un état totalitaire. Cela bien entendu est commis au nom du peuple. Pour le bien du Pays. Ces actes, que le dictateur ordonne au nom de l’ambition qu’il a pour sa patrie, sont le reflet de sa mégalomanie, de sa folie. Le trait est un peu lourd, la bête est noire ! L’auteur brosse le portrait d’un Trujillo affamé de chair fraîche, obsédé par son incontinence urinaire, manipulant ses proches comme des pions sur l'échiquier de sa folie dominatrice !
On suit en même temps les quatre jeunes conjurés du complot qui mettra fin à la dictature le 30 mai 1961. Le geste risqué de ces jeunes gens prend tout son sens au fur et à mesure qu’on entre plus avant dans le quotidien de Trujillo et dans les coulissses du pouvoir où tous tremblent devant le maître. 
L’histoire personelle de la narratrice Urania, nous est délivrée au fil des chapitres jusqu’à la fin où le lecteur connaitra (il l’aura peut-être deviné avant) le véritable motif de son retour à la terre natale. L’auteur a fait un travail d’historien et de romancier. Il m’a semblé qu’il manquait quelque chose à ce roman, peut-être un peu de légèreté ? Un peu de distanciation par rapport à l’événement historique. Cependant en dépit de cette restriction, j'ai trouvé ce livre passionnant, palpitant et horrible tout à la fois. 

Biographie : Mario Vargas Llosa est élevé à Cochabamba (Bolivie), puis au Pérou. Après des études à l’Académie militaire, il épouse sa tante, Julia Urquidi. Il tirera de ce mariage la matière de 'La tante Julia et le scribouillard'. Étudiant de lettres et de droit à l’université de San Marcos, puis de littérature à l’université de Madrid, il publie son premier recueil de nouvelles, 'Les caïds', en 1959. Il s’installe ensuite à Paris, où il exerce diverses professions : traducteur, professeur d’espagnol, journaliste pour l’agence France-Presse.
 En 1963 paraît 'La ville et les chiens', premier succès littéraire, qui sera traduit en une vingtaine de langues. Séduit par Fidel Castro et la révolution cubaine, il se rend à la Havane. Il rentre en Europe avec une nouvelle épouse, Patricia. Au début des années 70, l'auteur exprime pourtant ouvertement sa rupture avec la révolution castriste et les mouvements d’extrême-gauche. De retour au Pérou, il est candidat du Front démocratique à l’élection présidentielle péruvienne. Battu, il abandonne le Pérou, reprend ses activités littéraires et regagne Londres. La nationalité espagnole lui est accordée en 1993. Citoyen du monde, il vit entre Lima, Madrid, Londres et Paris.
Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, il est finalement récompensé par l'Académie suédoise en 2010 "pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa révolte et de son échec".
 En 2011 paraît chez Gallimard sa plus récente œuvre de fiction, ‘Le Rêve du Celte’, qui retrace la vie hors norme de l’anticolonialiste irlandais Roger Casement.






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