La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



jeudi 13 novembre 2014

Mes lectures du moment

Bad Girl de Nancy Huston 
Eds. Actes Sud (2014)



Résumé :


Etrange autobiographie intra utérine, ou autobiographie fictionnelle,  Nancy Huston livre un récit de sa prime enfance, s’interrogeant sur ce qui la taraude : A-t-elle été une enfant désirée ? Elle imagine que sa mère n’a pas pu la « décrocher » à temps, et lui en a voulu de naître. Ses parents immatures vont vivre avec leurs trois enfants des moments difficiles. En particulier le moment où la famille va se scinder en deux branches avec au bout de l’une d’elle les enfants. L’auteur tire de ses années d’enfance le moteur de ce est au coeur de son oeuvre littéraire. Une classe de littérature.


Extraits:


Plus tard, Dorrit, dans ta vie française, tu écriras un article recommandant que l'on érige un monument à l'Avortée inconnue, martyre de la société au même titre que le Soldat inconnu. Au moins cinq milles morts par an en France, écriras-tu, chaque année du XXe siècle jusqu'à la loi Veil en 1975. Ce n'est jamais le bon moment de parler de ces mortes-là, écriras-tu. Avant la loi Veil c'était trop tôt, parce que leur geste était interdit, tabou, illégal, honteux, scandaleux. Et après c'était trop tard, parce que leur geste était devenu légal, banal, normal, une petite opération de rien du tout. 

Malgré tout le piano te sera classe de littérature, peut-être même la plus importante de toutes. D'abord parce que tu y acquerras le goût du travail minutieux, patient, maniaque. [...] Mais surtout parce qu'en interprétant les morceaux de musique classique, tu apprendras à exprimer tes propres émotions à travers celles des autres. Défoulement fabuleux ! [...] Les notes des maîtres passent par ton corps et ton âme, et une structure est donnée au chaos. Après vingt ans à l'école de Bach-Mozart-Beethoven-Schubert-Chopin, tu seras mûre pour écrire ton premier roman.

Point n'est besoin de remonter au Moyen Age. Il suffit de glisser quelques petites décennies en arrière, jusqu'au début du XXe siècle, et, avec l'histoire de Camille Claudel que Paul son frère célèbre et influent et catholique et littérairement doué a fait enfermer à l'asile psychiatrique jusqu'à ce que mort s'ensuive parce qu'elle s'est fait avorter, on se trouve en pleines ténèbres. 

L'amour n'est pas qu'une affaire privée. Chacun de nous descend et dépend d'autres membres de notre espèce, et pas n'importe lesquels. Même si notre esprit refuse de le savoir, et même si nous décidons de ne pas procréer, notre corps grouille de cette descendance et de cette dépendance.

Nous ne tombons pas du ciel, mais poussons sur un arbre généalogique


Mon avis: 

Nancy Huston a choisi d'écrire en utilisant le TU dans ce beau récit adressé au personnage. Elle se tutoie pour mieux s'interroger, car le personnage aussi c'est elle en décalage. Elle appelle à la rescousse d'autres femmes : Annie Ernaux, Louise Bourgeois, des auteurs qu'elle aime, Romain Gary, Samuel Beckett qui, comme elle a abandonné se langue maternelle pour écrire en français.

C'est un livre singulier qui devrait toucher toutes les femmes, toutes les filles.
De l'histoire je ne vous révèle rien, il faut lire ce bon roman construit dans le style habituel de l'auteur. Une langue précise poétique sans être mièvre.

Biographie : Après une enfance au Canada, Nancy Huston suit son père aux États-Unis lorsqu'elle a 15 ans et finit ses études à New York. Quand Nancy a 6 ans, sa mère quitte brusquement son foyer pour aller mener sa vie ailleurs. Un traumatisme douloureux mais fondateur qu'elle transforme en richesse : c'est par l'imagination qu'elle va tenter de comprendre l'incompréhensible. La Virevolte (1994) et Prodige : polyphonie (1999) abordent le sujet de façon explicite. Venue à Paris pour un an en 1973, Nancy Huston reste et devient élève de Roland Barthes. Elle débute sa carrière en tant qu'essayiste pour le MLF, et pour des journaux de femmes tels queSorcières, qu'elle a cofondé, et publie son premier roman en 1981, Les Variations Goldberg. Avec Cantiques des plaines  (1993) - prix du Gouverneur général - elle retrouve sa langue maternelle et, depuis, se traduit elle-même dans les deux sens. En 1996, Instruments des ténèbres obtient le Goncourt des lycéens. Sous forme polyphonique, typique de Nancy Huston, elle donne voix à plusieurs personnages, voire même à une glycine, un étang (Une adoration, 2003) ou Dieu en personne (Dolce Agonia, 2001 .) Nancy Huston partage son temps entre Paris et le Berry, où elle vit avec son mari, le sémiologue d'origine bulgare Tzvetan Todorov et leurs deux enfants.

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