La phrase du jour

“"Si le théâtre oublie le monde, le monde finira pas oublier le théâtre". Bertolt Brecht



lundi 17 décembre 2012

Episode N°2 - Ce que cache un immeuble si discret




Pour ceux qui ont manqué le début

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Mon père regarde aux informations les images d'Alger ou d'Oran en noir et blanc sur la seule chaîne de télévision disponible [1] et censurée. Il commente et s'afflige. Ma mère dit que ça ne durera pas. Elle croit dans le génie du Général, il va devoir revenir. Guy Mollet…ça vaut rien... 
Ils s'engueulent ; le torchon brûle et le potage refroidit. 

Pour moi, l'insouciance prime sur la peur. L'idée de la guerre ne m'effraie pas. Dans un cinéma d’Ager le 2 avril '56, une bombe explose. C'est terrible et inimaginable une bombe dans un cinéma, ça ne m'empêche pas d'aller au Kursal, le ciné de l'avenue Jean-Jaurès, voir 
« Davy Crockett et les pirates » 
et « Baby Doll ». L'Algérie c'est loin, au delà de mon univers d'enfant. Un territoire de sable inaccessible. Une terre colonisée malmenée au nom de la République qui exploite ses richesses. Je ne sais encore rien de tout ça.


A l'entreacte, pendant les attractions entre les films, les esquimaux au chocolat fondent en dégoulinant sur les chemisiers blancs et les jupes plissées. Mais laissons la nostalgie, avançons dans  cette histoire, la petite qui recoupe la Grande. Si je continue à écrire en zig-zag, on n’en finira jamais.

J’habitais donc en ’56, au 26 de cette rue sans nom dans cette ville sans nom. Ça fait lurette. Cinquante piges quasiment perpèt’. Aujourd’hui, j’habite vers le Trou du Cul du Monde, une petite cité provinciale dont je tairai le nom. Je me répète : par principe ! Mon boulot à présent consiste à faire visiter des baraques, des terrains inondables, pour le compte d’un agent immobilier. Faut bien gagner sa croute. Ce matin en visitant un taudis plein de charme et de potentiel (comme dit mon directeur d’agence), le client tout aussi potentiel a évoqué les mystères des sous-sols, au seuil du caveau voûté dont je lui vantais la profondeur. A l’entendre les caves, ce n’est pas seulement le pinard, les bouteilles poussièreuses de Bordeaux velours ou les Bourgogne rutilants - rouge comme cardinal disait Rabelais. Hélas, on y découvre de la femme zigouillée, du mari disparu sans laisser de trace, de la mère-grand traînée là par le méchant loup jouant au P'tit Chaperon rouge ou assassinée par des héritiers un peu pressés qui n’ont pas trouvé le magot planqué dans la boîte à sucre, … Des trucs à attraper la chair de poule. Ça m’a rappelé une vieille histoire, elle vaut la peine que je la raconte. Pour  que vous suiviez, je dois présenter les protagonistes du bas en haut de l’immeuble, comme si vous y étiez !
            Au rez-de-chaussée, les Palu, raccourci de Paluvalanoski. A l’époque lointaine où se situe mon histoire, on vivait près de chez soi, dans l’horizontalité. Les tympans ouvriers n’étaient guère accoutumés à l’exotisme des consonances étrangères que la verticalité des grands ensembles ou les vols low cost d’aujourd’hui ont mis à la portée de tout un chacun. Paluvalanoski était donc un nom condamné, déclaré imprononçable par les habitants du quartier. Surtout, par les femmes. Les hommes eux étaient davantage familiarisés avec l’étranger. Ils bénéficiaient à intervalle régulier des services de la plus grande agence de voyage du pays, l’armée qui les baladait le temps d’une guerre.  Leur dernier voyage vers l’Est datait de ’40. Il avait été bref mais le séjour prolongé 
que firent chez nous les hordes teutonnes avait permis de s’accoutumer un tant soit peu à l’accent germanique. Pour le reste c'était pas la peine. Seuls, les prisonniers et les très rares survivants des camps se souvenaient des assonances polonaises. Alors, tous les polonais de la rue (ils étaient nombreux venus chercher du travail chez nous) s’étaient vus attribuer des noms tronqués pour faciliter leur identification. Mais ceux qui nous intéressent ici sont exclusivement les Palu.

La famille Palu avait quitté sa Pologne natale, avant que Staline et Hitler ne se la partage sans que personne ne songe à s’en offusquer. 


Au 26, ils faisaient office de concierges, au propre et au figuré. La mère Palu avait la langue bien pendue et colportait avec un accent charmant, les pires nouvelles plus vite que les gazettes. 

Au moment où commence cette histoire, ils ont déjà six enfants, tous rouquins, tous catholiques certifiés. Sauf l’aîné, surnommé « le fils Palu » qui est très brun. Lui ne va pas à la messe ni à Sainte Marthe ni ailleurs. Il fait tache au milieu des autres.  La famille comporte d’autres fils, mais ceux-là dans l’immeuble on les ignore, de même que les filles Palu. Ils font partie du récit mais de façon marginale comme des figurants sans importance qui ont été mis là par un metteur en scène désireux de renforcer au travers d’effet de foule les tribulations des acteurs principaux.
Donc, en ‘56 le fils Palu va sur ses seize ans. Il fume des cigarettes américaines en chaloupant sur le trottoir, porte des pantalons longs, et la mèche gomminée. 

Il a des yeux de velours et coince les filles sous les portes cochères. Bref, c’est un mauvais garçon. De ces loups-garous dont les mères tremblent à l’idée de voir leur fille traîner avec le soir, ou à n’importe quel autre moment de la journée ! Ma mère, comme les autres, tremblait, en dépit de mon jeune âge. Il m’était par conséquent interdit de parler au fils Palu. Même pas bonjour dans le couloir quand je le croisais. Chez les Maubert on ne se frotte pas à ce genre d’individu. Vous pensez ! Un mauvais garçon.

 A la fin de la guerre, ma grand-mère qui possédait tout l’immeuble l'avait saucissonné pour le vendre par lot. Certains logements avaient été cédés occupés, d’autres achetés par leurs locataires. C’était le cas des D.
Les D. habitaient au premier. Ils avaient réunis les deux appartements du palier pour n’en faire qu’un grand. Au moment du récit, Monsieur D., petit de taille malgré ses chaussures à talonnettes est courtier d’assurances à « l’Abeille Prévoyance ».  Il fait du porte à porte en costume foncé, une sacoche défoncée au bout du bras. Il aide les familles des banlieues avoisinantes à se prémunir en cas de décès, ou de dégat des eaux, voire même d’explosion liée au gaz. Assureur c’est ingrat. Aussi ingrat que placier en aspirateur ou collecteur des impôts. Tous ces boulots qui vous condamnent à rester dans le froid le doigt sur la sonnette dans l’attente d’une fin de non recevoir prodiguée par une ménagère revêche embigoudée. D. avait confié à mon père que parfois il profitait des circonstances.La petite femme en déshabillé qu’il cueille à sa toilette, après le départ du mari.
'C'était, me direz-vous des grâces roturières,
Des nymphes de ruisseau, des vénus de barrière...
Mon prince, on a les dames du temps jadis qu'on peut'  Brassens dixit.
Ce que D. nomme ses bonnes fortunes. Ses amours passagères qui le faisaient monter l’escalier quatre à quatre en sifflotant. Ça n’allait pas sans quelques éclats de voix. Le revers de la médaille. Tous les hommes adultères savent de quoi je parle. 

Il nous est arrivé plus d’une fois, en rentrant du cinéma, de trouver D. assis sur le tapis-brosse, dans l’attente d’un cessez le feu. Il avait beau dire qu’il avait oublié sa clé, on savait bien ce qu’il faisait en potiche devant sa porte close. Mon père était un brave homme, ça lui fendait l’âme de laisser ce pauvre D. en perdition. Alors nous l’hébergions quelques heures – au grand dam de ma mère qui n’aimait pas plus les coureurs que les loups-garous - le temps que la colère de Mme D. se soit dissipée. Selon l'humeur, mon père lui offrait une limonade ou un cognac. Il tentait de le distraire avec ses blagues de marbrier funéraire. Ma mère, l'oreille aux aguets, guettait le moment où la porte du premier allait s'entrouvrir pour chasser ce voisin embarrassant.


???? Mais qu'est-ce qui se passe chez les D. ? Qui est Mme D.? Et le fils Palu ? Que va-t-il inventer encore pour se faire haïr des voisins ? Et Irène que va- t-elle découvrir ????

Suite au prochain épisode… et n'hésitez pas à commenter.


[1] La deuxième chaîne de télévision sera expérimentée en décembre 1963 et inaugurée en avril 1964, la couleur arrivera avec la troisème chaîne en 1972 autemps de l’ORTF.

1 commentaire:

  1. CELA SE CONFIRME, CELA ME PLAIT. L'APPELATION "ARTISANE DE MOTS" TE VA A RAVIR.QUELLE SAVEUR QUE TES MOTS. J'ATTENDS AVEC IMPATIENCE LE 3ème EPISODE. QUELLE GOUAILLE!! QUELLE VIE AVEC TOUTES SES COULEURS. ... QUE NOUS RESERVE LE FILS PÄLU ? JOEL QUINTARD DE GUINGAMP

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